Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Directoire (suite)

La journée aboutit à la démission de La Révellière-Lépeaux et de P. A. Merlin (1754-1833). Les nouveaux directeurs qui les remplacent sont l’ancien Conventionnel régicide Roger Ducos (1747-1816) et le général Moulin (1752-1810). Avec Fouché* à la Police, Robert Lindet (1746-1825) aux Finances, Cambacérès (1753-1824) à la Justice, Bernadotte, puis Dubois de Crancé (1747-1814) à la Guerre, le pouvoir prend des allures de 93. En fait, la majorité des Corps législatifs qui les mettent en place reste conservatrice. À l’image de la France des notables, elle cherche l’introuvable pouvoir capable à la fois de manifester de l’autorité pour la sauvegarde de la patrie des propriétaires et de la servilité à leur égard. Dans l’instant, tous craignent la radicalisation de la Révolution, que toujours le péril extérieur produisit.


Le coup d’État du 18-Brumaire

« À la résurrection des piques ! », ce toast porté par Jourdan en juillet 1799 résume et les espoirs des jacobins et la crainte suscitée chez les possédants. Pendant deux mois, des mesures se succédèrent, qui firent croire à un retour à la Terreur. La levée en masse, l’argent pris aux riches, la répression contre les alliés des contre-révolutionnaires, tout rappelle l’an II. Mais il y a un absent, et de taille ! C’est le peuple, qui. malgré les efforts des jacobins, n’a plus l’ardeur révolutionnaire de 1794.

Le 28 juin, sur proposition de Jourdan, cinq classes de conscrits ont été intégralement appelées à servir : plus de remplacement, plus de passe-droit. 116 000 hommes partirent. En juillet, la garde nationale, réorganisée, doit pouvoir fournir sur simple réquisition des contingents qui formeront des colonnes mobiles.

Pour l’entretien des nouveaux soldats, les riches paieront. Le 6 août, la loi décide un emprunt forcé sur les contribuables ayant 300 francs d’impôt foncier ou un revenu mobilier égal à 10 000 francs.

La répression s’abat sur les suspects de royalisme. Une loi des otages permet aux administrations de tenir prisonniers les parents des émigrés, des rebelles ou les nobles exclus du droit de cité. Au cas où un fonctionnaire, ou un militaire, ou un acquéreur de biens nationaux serait assassiné, ces otages seraient déportés.

Pour sauver une France assiégée et attaquée de l’intérieur par les royalistes dans le Sud-Ouest (combat de Montréjeau en août), il faut « mettre en usage la force populaire, force toute-puissante ». Le jacobin M. Lamarque (1770-1832), qui s’exprime ainsi, essaie, avec ses amis du club du Manège, de s’appuyer sur les masses populaires des villes. Leur programme social est cependant trop timide pour soulever des hommes indifférents et dépourvus de cadres depuis l’an III. Mais ces appels au peuple font trembler les notables.

Aux frontières, les combats se poursuivent, malheureux pour les Français (le général Joubert est tué à Novi en août), quand, soudain, ceux-ci profitent d’une faute ennemie. L’Autriche, s’inquiétant de la présence de l’armée anglo-russe débarquée le 27 août au Helder, ordonne à l’archiduc Charles d’abandonner la Suisse pour faire mouvement vers le nord. Les troupes de Souvorov le remplaceront et feront leur jonction avec celles de Korsakov. Mais, avant qu’elles n’arrivent, Masséna met à profit l’affaiblissement relatif de Korsakov, l’attaque et le bat à Zurich du 25 au 27 septembre 1799 ; puis il se retourne vers Souvorov, aux prises avec Mortier. Le général russe bat en retraite. Au nord, les Anglo-Russes commandés par le duc d’York sont tenus en respect par Brune, puis décimés par la maladie. Le 18 octobre, une convention d’évacuation est signée à Alkmaar. Aussi, quand le 9 octobre, Bonaparte débarque à Fréjus, c’est une France victorieuse qui l’accueille avec enthousiasme.

Pour les bourgeois, qui désirent avec Sieyès mettre un terme aux mesures jacobines et réviser la Constitution, il est peut-être le « sabre » dont ils ont besoin. Dès août, la réaction a commencé. Fouché, le 13, fait fermer le club du Manège ; Sieyès profite de l’insurrection royaliste du Sud-Ouest pour frapper indistinctement la presse contre-révolutionnaire et la presse jacobine. Avec la victoire, qui rend inutiles les mesures radicales, la réaction s’affirme. Le 31 octobre, A. A. Thibault (1747-1813) propose de supprimer l’emprunt forcé et d’augmenter les impôts. La crise de l’an VII conjurée, les notables, pour interdire tout renforcement jacobin aux élections de l’an VIII et pour disposer d’un pouvoir fort à l’abri des aventures, vont enfin pouvoir faire la révision constitutionnelle. La révision légale est trop délicate et trop longue à entreprendre. Il reste à brusquer les choses par un nouveau Prairial ; Sieyès l’envisage. Les fournisseurs aux armées, irrités par une loi qui leur enlève la priorité de paiement au Trésor, fourniront l’argent indispensable. Barras est neutralisé, Roger Ducos acquis à Sieyès, les présidents des Anciens et des Cinq-Cents (Lucien Bonaparte) gagnés ; il ne reste plus qu’à trouver un général susceptible d’entraîner des troupes républicaines contre des députés jacobins. Talleyrand rapproche Bonaparte et Sieyès, qui se détestent.

Le 18 brumaire, le Conseil des Anciens, convoqué, apprend qu’un complot tramé contre lui rend son transfert à Saint-Cloud indispensable. Voté, celui-ci se fera sous la protection de Bonaparte, commandant les troupes de Paris.

Le 19 brumaire (10 nov. 1799), les Assemblées se réunissent dans l’après-midi. Aux Cinq-Cents, les jacobins imposent un serment de fidélité à la Constitution par appel normal. Bonaparte brusque les choses. Devant les Anciens, il accuse les jacobins des Cinq-Cents de vouloir « nous rendre la Convention, les comités révolutionnaires et les échafauds ». Aux Cinq-Cents, où il paraît avec ses soldats, il provoque l’hostilité de tous les députés et compromet ainsi ce qui ne devait être qu’une « journée parlementaire ».

« Tous les membres, debout, font éclater par des cris la profonde impression que leur cause l’apparition des baïonnettes et du général, qui vient militairement dans le temple de la législative : « Vous violez le sanctuaire des lois, retirez-vous ! lui disent plusieurs députés. — Que faites-vous, téméraire ? lui crie J. A. Bigonnet. — C’est donc pour cela que tu as vaincu ? » lui dit H. Destrem. En vain, Bonaparte, arrivé à la tribune, veut balbutier quelques phrases. De toutes parts, il entend les cris de « Vive la Constitution ! Vive la République ! ». « Tu feras donc la guerre à ta patrie », lui crie J. A. Aréna (d’après Fouché).

Bonaparte quitte la salle. Son frère Lucien le sauve. Il suspend le vote sur la mise hors la loi de Bonaparte, court haranguer les troupes et dénonce les députés comme vendus à l’Angleterre. Murat et Leclerc à leur tête, les soldats envahissent l’Orangerie, d’où les députés s’enfuient.