Des Prés (Josquin) (suite)
Les motets
C’est cependant dans ses motets qu’il peut le mieux donner cours à son inspiration : le cadre est plus vaste que celui de la chanson et le texte n’est pas imposé comme celui de la messe.
Josquin choisit ses textes dans la Bible, parmi les Psaumes (Laudate pueri, Qui habitat in adjutorio), les récits (Absalon fili mi), le Cantique des cantiques (Ecce tu pulchra es, amica mea) ; il utilise aussi des hymnes et des séquences : Conditor alme siderum, Veni Sancte Spiritus, Stabat Mater...
Le psaume Miserere mei Deus, écrit pour Hercule Ier, est le plus justement célèbre. Un thème sur deux notes rappelle la psalmodie ; présenté en imitation au début, il est repris en ostinato par le ténor, baissé d’un ton à chaque reprise ; après avoir descendu une octave, il suit le chemin exactement inverse pour reprendre dans une 3e section la descente du début jusqu’au la. La progression de l’ensemble, avec son introduction dans les graves qui s’élève peu à peu, est très symbolique de l’homme qui se tourne vers Dieu dans un mouvement d’espérance. Rien n’est vraiment novateur dans cette technique de cantus firmus en ostinato, mais l’expression est extrêmement puissante et maîtrisée.
Josquin emploie le même langage technique que dans ses messes ou ses chansons, mais lui donne souvent une richesse inaccoutumée. Ainsi, l’écriture verticale est plus nette : O Domine Jesu Christe, Tu solus qui facis mirabilia montrent le goût du compositeur pour la couleur des accords et sa science harmonique ; la présence fréquente de la tierce finale ajoute encore à ce sentiment harmonique.
Le motet Vultum tuum deprecabuntur contient 5 sortes de duos imitatifs ; on trouve des cantus firmus en canon dans Sic Deus dilexit et un double canon accompagné par 2 voix libres dans In nomine Jesu. Le compositeur rejoint un usage de son temps lorsqu’il place au ténor de son œuvre un texte différent de celui des autres voix, mais qui le commente : le ténor du motet Missus est Gabriel fait allusion par sa mélodie à la chanson d’Antoine Busnois À une dame j’ai fait vœu. Le triple motet O bone et dulcis Domine Jesu est bâti sur deux cantus firmus superposés : le ténor énonce le Pater noster, tandis que la basse chante Ave Maria.
Certaines chansons, en fait, sont des motets. Dans l’émouvante Déploration sur la mort d’Ockeghem, le ténor chante l’introït Requiem aeternam et, à la fin, Requiescat in pace ; les autres voix appellent, en français, Brumel, La Rue, Compère à prendre le deuil de leur « bon père ». La composition est symboliquement écrite en notes noires ; la 1re partie reprend le style d’Ockeghem en souvenir de lui, tandis que la 2e a des phrases plus claires et une progression davantage par accords. Nicolas Gombert utilisera un symbolisme semblable lorsque, sur le thème du motet de Josquin Christus mortuus à 6 voix, il pleurera la mort du grand compositeur.
De son vivant déjà, Josquin fut célébré par tous : son élève Adrien Petit Coclico, ses collègues Compère et Pierre Moulu, les théoriciens Aaron et Glarean, des écrivains, même, comme Luther, lui réservent la première place. Longtemps après sa mort, son œuvre a été recopiée ou transposée pour les instruments. Fait exceptionnel pour l’époque, le Vénitien Petrucci consacre trois volumes entiers à l’édition de ses messes. Au xviiie s., Adami saluera encore celui « dont parle et parlera éternellement la renommée ».
M.-M. K.
A. Smijers, Werken van Josquin Des Prez (Amsterdam, 1925-1957 ; nouv. éd. par A. Smijers et M. Antonowycz, Josquin Des Prez Opera omnia, Amsterdam, 1957 et suiv.). / H. Osthoff, Josquin Des Prez (Tutzing, 1962-1965 ; 2 vol.).