Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre le Grand (suite)

Pasargades se rendit presque aussitôt. C’était la vieille capitale de Cyrus, une ville sainte où Alexandre trouva encore un précieux butin. À Ecbatane, où il était allé se réfugier, Darios disposait d’un abondant trésor et d’une modeste armée de recrutement local. Alexandre ne lui laissa pas le temps de s’organiser, et le Perse prit encore la fuite. Donnant un exemple de la rapidité de ses déplacements — rapidité concourant à la réussite de ses campagnes —, Alexandre couvrit quatre cents kilomètres en six jours pour trouver en Hyrcanie le corps de Darios, qui venait d’être assassiné par des traîtres. Il fit faire au vaincu des obsèques magnifiques. À ce moment (juill. 330), Alexandre n’avait parcouru qu’une faible partie de l’Empire perse, mais il s’estimait déjà l’héritier légitime des Achéménides.


Conquêtes orientales

Ses soldats ne partageaient pas toujours l’enthousiasme du conquérant. Ayant subi de dures épreuves, ils souhaitaient désormais rentrer chez eux. La Perse était battue, ils n’avaient donc plus rien à y faire. Alexandre leur fit comprendre, à maintes reprises, qu’il ne l’entendait pas ainsi. Au contraire, il devait grossir ses effectifs pour poursuivre ses conquêtes, et, dans ce dessein, il enrôla des Orientaux.

La guerre prit dès lors un nouvel aspect : Alexandre voulait poursuivre les traîtres qui avaient assassiné Darios et parcourir les vastes territoires des confins orientaux de l’Empire perse, pays pratiquement inconnus, sauvages, gouvernés par des seigneurs locaux qui ne se pliaient qu’à des vassalités nominales. Son génie fut d’adapter ses troupes à un type de guerre où l’escarmouche prit la place de la bataille rangée. Toujours au premier rang, donnant partout de sa personne, Alexandre mit trois ans pour se rendre maître des satrapies orientales, parcourir et pacifier l’Hyrcanie, l’Arie, la Bactriane et la Sogdiane. Au cours de son expédition, il séjourna dans quelques villes pour hiverner et regrouper son armée (Zadracarta, Prophtasia [Farāh], Nautaca, Bactres [Balkh], Maracanda [Samarkand]), et il en fonda d’autres. Il aurait créé, dans toute sa vie, 70 villes appelées Alexandrie. Beaucoup ne durent être que d’infimes garnisons ; d’autres, des villages indigènes transformés en citadelles. Certaines fondations donnèrent naissance à des agglomérations importantes (Alexandrie d’Arie [Harāt], Alexandrie d’Arachosie [Kandahar], Alexandrie de Margiane [Mary, anc. Merv] et, bien entendu, l’Alexandrie d’Égypte). Le plus souvent, les traces du passage d’Alexandre paraissent insignifiantes. Les historiens et en particulier sir Aurel Stein, qui s’est attaché à ce genre de recherche, ont eu le plus grand mal à faire concorder le cadre géographique actuel avec les propos des auteurs anciens et à situer sur les atlas modernes les lieux de référence antiques. Toujours est-il qu’Alexandre alla jusqu’au Syr-Daria, qu’il se heurta, en route, à des Barbares puissamment barricadés dans leurs forteresses et progressa difficilement. Tantôt les soldats s’enlisaient dans la neige de la vallée de Kaboul, tantôt ils devaient pratiquer l’escalade pour s’emparer d’un rocher apparemment inexpugnable, comme la Roche Sogdiane. Enfin, l’armée faisait des découvertes comme celle du pétrole, qui jaillit du trou creusé pour planter le mât de la tente royale.


Le despote oriental

Cette longue équipée satisfaisait le goût d’Alexandre, qui ne reculait devant aucune fatigue, était aussi endurant dans les marches que fougueux au combat. Mais ses vieux compagnons, eux, souffraient de plus en plus du mal du pays. Alexandre, aussi, n’était plus le même homme. Il avait eu le vertige du triomphe à la suite de ses victoires. Il avait pris à la lettre les flatteries d’Orientaux qui lui disaient qu’il était un dieu. Il avait, comme ses compagnons d’ailleurs, pris plaisir à découvrir les voluptés des cours orientales, adopté le cérémonial exotique et déconcertant de la cour persane et admis autour de lui des dignitaires du pays. Mieux encore, après avoir fait sa maîtresse de Barsinê, fille du satrape Artabazos, il fit un mariage barbare en épousant Roxane (ou Rhôxane), la fille d’un seigneur de Sogdiane qu’il avait capturée. Enfin, son autorité s’était faite plus despotique. Ses braves capitaines étaient jaloux des Perses et déçus d’être ravalés au rôle de courtisans. Il en résulta des incidents graves. Philôtas, l’un des généraux, fut accusé d’avoir négligé de révéler au roi un complot contre lui. Un autre général, Cratère, qui le haïssait, réussit à faire passer Philôtas pour le chef du complot. Sous la torture, ce dernier avoua et mourut lapidé (330). Alexandre jugea prudent de faire assassiner le père de Philôtas, Parménion, dont il pouvait redouter la vengeance. Deux ans plus tard, au cours d’une de ces beuveries coutumières à la cour, Alexandre tua son ami Cleitos, qui se moquait de lui et lui faisait divers reproches. Un peu plus tard surgit un autre incident, encore plus caractéristique. Les Perses ayant coutume de se prosterner devant leur souverain, Alexandre prétendit recevoir le même hommage des Macédoniens. Ceux-ci s’en choquèrent, estimant la prosternation (proscynèse) réservée aux dieux. L’historiographe Callisthène refusa ostensiblement de se plier à ce cérémonial. Alexandre le gratifia fallacieusement d’une accusation de complot pour le faire disparaître.

Ces événements ont été mis en vedette par les historiens anciens. Ils n’ont rien d’étonnant, une fois replacés dans le cadre d’une cour orientale. C’est que, malgré ses pérégrinations et ses combats, Alexandre était entouré d’une cour nombreuse, et qu’il trouvait le temps de se consacrer à ce qu’on appelle la politique intérieure. Pas assez pour réformer et helléniser profondément l’Empire. L’organisation en satrapies était conservée, encore que les satrapes eussent perdu leurs attributions militaires. La fiscalité demeurait la même, à l’exception du tribut des villes grecques, remplacé par une contribution moins lourde. On avait dilapidé en peu d’années les trésors accumulés durant deux siècles par les Achéménides. Une partie de ces richesses avait été distribuée aux soldats, une autre servit à de grands travaux ou à des libéralités : le reste suffisait tout juste à la poursuite des campagnes.