Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chansonnier (suite)

En 1848, il fut élu, malgré lui, député de la Seine à une énorme majorité. Voulant conserver sa liberté de chansonnier il n’accepta pas ce mandat. Il mourut le 16 juillet 1857. Le gouvernement impérial lui fit des funérailles nationales, mais décréta que le public n’y sera pas admis (!). Écartée du convoi, la foule grimpa sur les toits, sur les arbres... Lamartine avait décerné à Béranger le titre de « Ménétrier national ». Victor Hugo écrivit les Chansons des rues et des bois pour dépasser le succès de Béranger. Chateaubriand l’appelait « mon illustre ami », et Stendhal assure que « ses écrits font battre tous les cœurs ».

Durant la période creuse qui va de la suppression des goguettes à l’apogée du café-concert, le nom d’un chansonnier mérite cependant de survivre, celui de Charles Nadaud (1820-1893). Esprit fin, ironique, jamais vulgaire, celui-ci aborde dans ses chansons des genres très différents : le libertinage léger avec les Reines de Mabille et Adèle ; le sentiment avec la Valse des adieux ; la satire politique avec l’Osmanomanie, les Impôts et le Carnaval à l’Assemblée nationale. Il rénova la chanson bachique avec le Docteur Grégoire. Sa chanson les Deux Gendarmes fut interdite un temps pour crime de lèse-maréchaussée.

En 1878, les chansonniers retrouvèrent le public et le succès avec le Club des Hydropathes, fondé par Émile Goudeau, pour connaître leur plus grande gloire avec le Chat-Noir et les nombreux cabarets du même style qui s’ouvrirent à Paris à la fin du xixe s.


Les chansonniers montmartrois

Au premier rang des chansonniers qui ont fait le renom de Montmartre, il faut mettre Aristide Bruant (1851-1925), qui, en marge de l’école naturaliste, à créé des héros nouveaux : les alphonses et leurs marmites. Bruant avait débuté dans les goguettes, où il chantait un répertoire comique. Après quelques passages dans les cafés-concerts, c’est au Chat-Noir qu’il découvrit son style et son costume, popularisé par Toulouse-Lautrec. Il y créa ses célèbres chansons sur les barrières de Paris : À la Villette, À Montparnasse, Belleville-Ménilmontant, À la Glacière, etc. En 1885, il s’installa dans le local laissé vacant par le départ du Chat-Noir. Il y fonda son propre cabaret, le Mirliton, où la bonne société venait s’encanailler. Poète, il a réussi à cultiver la fleur bleue sur l’asphalte des faubourgs (À Saint Lazare, À Mazas, Rue Saint-Vincent, etc.), mais il a écrit aussi des chansons pour le café-concert (souvent en collaboration avec Jules Jouy) [Mad’moiselle, écoutez-moi donc !, l’Enterrement, etc.].

L’inspiration de Maurice Rollinat (1846-1903) est tour à tour rustique (Chanson d’automne, la Mort des fougères) et macabre (la Morgue, Ballade du cadavre). Marcel Legay (1851-1915) fut l’un des précurseurs de Montmartre, où il chantait ses chansons dans la rue, avant que s’y installe le premier cabaret. Son chef-d’œuvre reste Écoute, ô mon cœur. Jules Jouy (1855-1897) créa la chanson « au jour le jour » au Cri du peuple, puis au Paris. Mac-Nab (1856-1889) fut le créateur du genre « en bois », qui fut la manière du Chat-Noir. On chante encore le Métingue du Métropolitain et le Pendu. Xavier Privas (1863-1927), élu « prince des chansonniers » (1899), exalta dans ses chansons les sentiments justes et droits, la femme, l’amour. Les plus célèbres restent le Testament de Pierrot, la Chanson des heures, les Chimères. Jacques Ferny (1863-1936) écrivit des chansons pince-sans-rire qui ont gardé leur finesse et leur originalité : la Chanteuse et le conférencier, Une chanson de café-concert.

Dominique Bonnaud (1864-1943), dont la verve rabelaisienne savait aussi se nuancer d’humour dans Un rêve sur l’Ouest-État, reste l’un des classiques de la satire politique avec le Mariage démocratique (celui de Mlle Fallières). Vincent Hyspa (1865-1938), à ses débuts, fit représenter un noël dont la musique était de Satie et les décors d’Utrillo. Ses chansons brocardaient la fausse simplicité des dirigeants politiques de son temps (la Visite impériale, le Banquet des maires). Théodore Botrel (1868-1925), après avoir débuté dans des chansons polissonnes, fut le chantre de la Bretagne (la Paimpolaise). Jean Rieux (1885-1959) offrit dans ses œuvres la gamme la plus complète de la chanson : patriotisme sans chiqué (les Deux Wagons, le Cœur de Chopin) ; chansons tendres et poétiques (Barricade au Quartier latin [à la Libération]) ; satires sans méchancetés (Ma pipe [Herriot], Lettre à Sacha [Guitry]). Ses plus grands succès restent C’est formidable... et c’est charmant, Village à vendre, les Deux Hymnes.

René Dorin (1891-1969) fut le premier chansonnier à affronter le public du music-hall. Il se fit le porte-parole du Français moyen avec les Clous, Nuances, Je nous aime, On est inquiets, etc.

D’autres chansonniers ont connu le succès durant la grande époque de Montmartre : Léon de Bercy, Numa Blès, Georges Chepfer, Fursy, Maria Krysinska, Martini, Montoya, Ponsard, Georges Tiercy, Secrétan, Jean Varney, Paul Weil, Yon-lug.

Parmi les chansonniers contemporains qui continuent la tradition citons Léo Campion, Jacques Cathy, Pierre Dac, Pierre Gilbert, Jacques Grello, Maurice Horgues, Jean Marsac, Daniel Mussy, Noël-Noël, Robert Rocca, Raymond Souplex, Christian Vebel, etc.

F. V.

➙ Chanson.

 M. Herbert, la Chanson à Montmartre (la Table ronde, 1967). / F. Vernillat et J. Charpentreau, Dictionnaire de la chanson française (Larousse, 1968).

chant

Phénomène qui permet à la voix de transcender les limites de la parole jusqu’à devenir musique.


Les peuples primitifs pratiquèrent le chant sans moyens techniques, sous forme d’improvisation associée ou non à des paroles, en lui donnant un caractère à la fois magique et fonctionnel (chant pour chasser les mauvais esprits, chant pour implorer les divinités, etc.). Il en fut de même dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge jusqu’aux troubadours, trouvères et Minnesänger. Le chant prit dès lors les divers caractères qu’il devait toujours conserver, soit qu’il fût essentiellement, comme chez les Égyptiens, les Arabes et dans les communautés chrétiennes de Byzance, où l’on vocalisait avec habileté, un chant orné dont le pouvoir était purement sonore, soit qu’il fût, comme chez les Grecs et les artistes médiévaux, moins habiles chanteurs, un chant syllabique qui donnait la priorité au verbe. Toute l’histoire du chant tient dans cet antagonisme entre un art sensible, voire sensuel, et un art plus délibérément intellectuel, compte tenu qu’il existe entre ces positions extrêmes toutes sortes de nuances, déjà perceptibles dans le chant grégorien, où l’on trouve, à côté du récitatif liturgique, la psalmodie responsoriale et le trait, souvent ornés, ainsi que l’Alleluia, aux longues vocalises.