Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

L’industrie du disque

Sur les 31 000 chansons déposées chaque année à la Société des auteurs, seules celles qui sont enregistrées sur disque* ont quelque chance de rencontrer le public. Il existe environ 300 marques de disques, mais 5 firmes se partageaient, en 1969, 80 p. 100 du marché français (Barclay, Decca, Pathé, Philips, Vogue). On a pressé 65 millions de disques en France en 1968 (dont environ 55 millions de disques de variétés). Sur 6 452 nouveautés, 2 666 étaient des disques de chansons. Le chiffre d’affaires total des disques en France, T. V. A. incluse, du producteur au revendeur était alors de 417 millions de francs.

Le disque est connu du public grâce à la radio et à la télévision. Les stations de langue française couvrant le territoire métropolitain diffusent plus de 1 000 chansons par jour et incitent ainsi à l’achat des disques. Mais la chanson française est dangereusement concurrencée par la chanson étrangère, surtout d’origine américaine. En 1969, l’O. R. T. F. diffusait 49 p. 100 de chansons étrangères, Radio-Luxembourg 45 p. 100, Europe no 1 65 p. 100. Certains envisagent l’imposition d’un quota (il est de 3 p. 100 aux États-Unis).

Les ventes d’un disque à succès peuvent atteindre 100 000 exemplaires d’un microsillon de 30 cm, 400 000 pour un 45 tours. Certains grands succès dépassent même le million de disques.

Les modes de diffusion de la chanson ont donc radicalement changé : le disque et la radio suffisent à populariser rapidement une chanson ou une vedette sans que l’interprète ait besoin de se produire en public (ce fut le cas de Sheila) ; avec la télévision, la promotion est immédiate (ce fut le cas de Françoise Hardy). Les music-halls ont, d’ailleurs, presque tous disparu.


La chanson contemporaine


Retour à la tradition : chanson engagée et folklore

Le yé-yé a rapidement lassé la grande masse des auditeurs, bien que certaines idoles aient continué leur carrière. Une réaction se manifesta sous l’influence de la chanson américaine d’avant le jazz : le folksong redonnait la primauté à la mélodie, à des paroles poétiques, à un accompagnement simple (guitare, banjo, harmonica).

À l’instigation des interprètes américains (Woody Guthrie, Pete Seeger, Joan Baez), le folksong redevint outre-Atlantique une forme féconde. En France, Hugues Aufray s’inspira de ce style avec un grand succès, en particulier grâce aux traductions des chansons de Bob Dylan par Pierre Delanoë. Cette mode du folksong fut bénéfique à la chanson française en l’incitant à renouer avec deux thèmes essentiels : la chanson politique et le folklore.

• La chanson politique. Malgré certaines interdictions temporaires (Boris Vian, le Déserteur ; Jean Ferrat, Potemkine, Ma France), la chanson engagée a pu rencontrer le public des jeunes. Paradoxalement, elle est souvent tournée vers le passé : elle s’indigne des crimes nazis, que des jeunes découvrent une vingtaine d’années après les événements (Jean Ferrat, Nuit et brouillard) ; elle évoque l’agonie de la République espagnole (Pierre Louki, Je n’irai pas en Espagne ; Léo Ferré, Franco la muerte). Elle s’inspire parfois de l’actualité internationale, condamne l’action des États-Unis au Viêt-nam, appelle à la fraternité, refuse le racisme, rend hommage à Cuba, etc. Le courant pacifiste traditionnel reprend vigueur.

La chanson exprime aussi des prises de position concernant la politique, contestant notre société (Colette Magny, Eric Robrecht), prenant parti en faveur du général de Gaulle (P. Delanoë - G. Bécaud, Tu le regretteras) ou le mettant en cause (Léo Ferré, Mon général). Les événements de mai 1968 ont aussi suscité des chansons (J. Ferrat, Au printemps, à quoi rêvais-tu ?).

• Renouveau du folklore. Le folksong américain a entraîné la redécouverte du folklore de notre pays, dont le courant avait presque disparu. Au début du siècle, Yvette Guilbert avait ressuscité de vieilles chansons populaires ; après elle, Marie Dubas et d’autres interprètes, comme Germaine Sablon, avaient inscrit des chansons traditionnelles à leur répertoire. Le gouvernement de Vichy avait voulu lier le folklore à son action politique ; le genre en avait gardé mauvaise réputation. Cependant, à la Libération, Yves Montand et surtout Jacques Douai, au répertoire très équilibré, avaient su faire revivre la tradition, prouvant que le folklore pouvait ne pas être terne ou ennuyeux. De jeunes interprètes ont suivi leur exemple, tel Serge Kerval. Des créateurs comme Francine Cockenpot maintenaient la belle simplicité poétique de la tradition (Automne). Georges Brassens savait faire leur place aux chansons à coloration folklorique (À l’ombre du cœur de ma mie, la Route aux quatre chansons).

Cette tradition maintenue allait de nouveau s’affirmer. En rajeunissant de vieilles chansons, Hugues Aufray et Guy Béart (Vive la rose, 1966) redonnèrent à leur tour une nouvelle vigueur au folklore français. Ils modifièrent légèrement le rythme, le style d’interprétation, l’orchestration, montrant ainsi que « rien n’est plus jeune qu’une vieille chanson » (Paul Arma). Ces modifications sont d’ailleurs dans l’esprit même du folklore, qui n’est jamais figé quand il est vivant. D’autres interprètes (comme les Frères Jacques) ont fait aussi une place plus large au folklore dans leur répertoire.


Permanence de la chanson française

En dépit des influences étrangères permanentes (la pop’ music a relayé le rock en 1969) et malgré une production de masse où le meilleur et le pire se côtoient en proportions hélas ! inégales, la chanson française reste un art particulièrement vigoureux. Les grands genres manifestent une stabilité remarquable. Ainsi, le réalisme, après la mort d’Édith Piaf, est-il illustré par Georgette Lemaire, Mireille Mathieu et surtout par Pia Colombo et Francesca Solleville, dont les répertoires sont à la mesure de leur talent. Les chansons d’amour restent les plus nombreuses, le charme se faisant parfois plus souriant avec Salvatore Adamo, se teintant de nostalgie avec Enrico Macias, qui dut abandonner l’Algérie après l’indépendance. Dalida, Petula Clark, Nana Mouskouri montrent que la chanson est toujours sensible à un léger exotisme. Il faut citer aussi Serge Reggiani, venu du cinéma au tour de chant.

De même peut-on suivre la permanence des fantaisistes, avec Bourvil, Marcel Amont, Sacha Distel, Henri Salvador, Ricet-Barrier, Antoine, Jacques Dutronc, etc.