Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Abel (Niels Henrik) (suite)

L’œuvre d’Abel domine l’algèbre et la théorie des fonctions. Son mémoire de 1824, repris dans le Journal de Crelle, établit l’impossibilité de résoudre par radicaux l’équation générale de degré cinq. En recherchant les caractéristiques des équations susceptibles d’une telle résolution, Abel traite en 1828 des équations abéliennes, dont le groupe est commutatif ou abélien. La lecture des ouvrages de Cauchy, « le seul qui sache traiter les mathématiques », l’avait conduit à l’étude des séries convergentes et particulièrement à la formule du binôme pour un exposant irrationnel. Les travaux de Le Gendre sur les intégrales elliptiques le mènent à deux découvertes où il se rencontre avec Jacobi. Le premier, il utilise le domaine des nombres complexes et s’intéresse aux fonctions inverses des intégrales, les fonctions elliptiques actuelles, dont il établit la double périodicité. Enfin, dans le mémoire présenté à Paris, il étudie les intégrales dites « abéliennes », pour lesquelles il établit un important théorème d’addition. Les fonctions inverses de ces intégrales seront ultérieurement appelées par Jacobi fonctions abéliennes.

J. I.

 C. A. Bjerknes, Niels Henrik Abel : tableau de sa vie et de son action scientifique (trad. fr. ; Gauthier-Villars, 1885). / Ch. Lucas de Pesloüan, N. H. Abel (Gauthier-Villars, 1906). / O. Ore, Niels Henrik Abel (Bâle, 1950) ; Niels Henrik Abel, Mathematician Extraordinary (Minneapolis, 1957).

Abélard ou Abailard (Pierre)

Philosophe et théologien français (Le Pallet, près de Nantes, 1079 - prieuré de Saint-Marcel, près de Chalon-sur-Saône, 1142).


Abélard ne fut pas seulement un prestigieux professeur de logique dans les écoles urbaines, à Paris au xiie s. ; par sa personnalité attachante et irritante à la fois, il demeure un témoin éminent de la civilisation du second Moyen Âge occidental, celui des communes, des corporations, des universités, après celui de la féodalité.

Les œuvres d’Abélard

Les œuvres d’Abélard se rangent en trois catégories : œuvres de dialectique, qui concernent plus précisément les arts du langage, centrés sur le phénomène linguistique et mental de la signification, et interprétés dans une philosophie nominaliste ; œuvres de théologie, à trois reprises refondues, toutes conditionnées par une méthode critique des textes et des autorités que définit et met en œuvre le Sic et non ; enfin un traité de morale, Scito te ipsum, qui, selon la logique de son esprit, situe la moralité dans les profondeurs intentionnelles du sujet plus que dans la matérialité des objets dits bons ou mauvais. Hors cadre, mais chef-d’œuvre, dont on a vainement contesté l’authenticité, sa correspondance avec Héloïse. Sa personnalité s’y révèle à plein, y compris son égoïsme masculin, en parfaite illustration de sa doctrine. Extraordinaire document qui, à lui seul, bouscule la catégorie si ambiguë de « Moyen Âge » et manifeste, au temps de la littérature courtoise, l’éveil de la conscience aux problèmes de l’amour.


Abélard et Héloïse

Il vient très jeune à Paris ; passionné pour l’étude, il a renoncé au métier des armes, vers lequel son père voulait l’orienter à son exemple. Déjà impertinent dans sa précocité, il conteste l’enseignement de son maître, Guillaume de Champeaux, et ouvre bientôt lui-même une école, à Melun d’abord, puis à Corbeil. Après une brève interruption, il s’installe à Paris, reprend sa controverse avec maître Guillaume, opposant à sa philosophie « réaliste », dans la querelle des universaux, une logique « nominaliste ». Voulant s’engager dans l’étude de la théologie, il part pour Laon, commune urbaine émancipée de la veille, où il mène une semblable aventure contre le maître du lieu, Anselme, « arbre couvert de feuilles, mais sans jamais aucun fruit », dit-il. De retour à Paris, il enseigne la philosophie et la théologie (1113-1118).

C’est alors que, précepteur d’une très brillante étudiante, Héloïse, il la séduit, à la grande colère de l’oncle de celle-ci, le chanoine Fulbert, qui lui fait infliger une ignominieuse mutilation. Mais cet épisode dramatique n’interrompt pas la carrière d’Abélard, qui, sirène des écoles, rassemble autour de sa chaire ambulante une extraordinaire affluence d’étudiants. Il est alors à l’abbaye de Saint-Denis : là encore, il entre en conflit avec les moines, tout honorés qu’ils fussent de la présence d’un tel maître. C’est de cette période que datent la plupart de ses travaux de logique, soit en commentaire des textes alors reçus de Porphyre, de Boèce et d’Aristote, soit dans une œuvre personnelle, Dialectica (revue postérieurement).

Héloïse à Abélard

Jamais, Dieu le sait, je n’ai cherché en toi rien d’autre que toi. Ce ne sont pas les liens du mariage, ni un profit quelconque que j’attendais, et ce ne sont ni mes volontés, ni mes voluptés, mais, et tu le sais bien toi-même, les tiennes, que j’ai eu à cœur de satisfaire. Certes, le nom d’épouse semble plus sacré et plus fort, mais j’ai toujours mieux aimé celui de maîtresse, ou, si tu me pardonnes de le dire, celui de concubine. Car plus je m’humiliais pour toi, plus j’espérais trouver grâce auprès de toi, et, en m’humiliant ainsi, ne blesser en rien la splendeur de ta gloire.
(Deuxième lettre d’Héloïse à Abélard.)


Un enseignement controversé

Cependant, l’enseignement théologique d’Abélard provoque déjà de vives réactions. Un premier traité, Theologia summi boni, plus connu sous le titre de De unitate et trinitate divina, composé après 1118, déconcerte les traditionalistes par l’intrépidité avec laquelle il applique « les similitudes de la raison aux principes de la foi » (lui-même dans son autobiographie). Condamné en 1121, à Soissons, par « un conventicule paré du nom de concile », déclare-t-il, Abélard retourne à Saint-Denis, où reprennent les antagonismes de personnes et de doctrines. Il s’installe alors aux environs de Nogent-sur-Seine avec ses étudiants, dans une communauté mi-religieuse mi-intellectuelle, qu’il dédie au Paraclet (1122). Élu abbé en 1125 par les moines de Saint-Gildas, dans le diocèse de Vannes, il les veut réformer, ce dont ils ont grand besoin, mais sans succès. C’est alors que, pour trouver logis et vie religieuse à Héloïse, obligée de quitter le couvent d’Argenteuil, où elle s’était librement engagée, il fonde pour elle un monastère au Paraclet (1129). De là date la correspondance entre les deux époux, admirable document qui, à lui seul, leur méritera l’émotion et l’estime de la postérité. Ayant échoué dans son monastère de Saint-Gildas, Abélard doit s’enfuir, et, après diverses péripéties, revient enseigner à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève, où, vers les années 1135-1140, il aura comme disciples Jean de Salisbury, Arnaud de Brescia et peut-être Rolando Bandinelli, le futur pape Alexandre III.