Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cavour (Camillo Benso, comte de) (suite)

Oubliant sa rancune dans l’intérêt national, le roi rappelle Cavour le 20 janvier au gouvernement, où il reprend, avec la présidence du Conseil, les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur. Dès le 18 et le 22 mars, après des plébiscites organisés pour complaire à Napoléon III, qui ne peut récuser le procédé grâce auquel il est parvenu lui-même au pouvoir, l’annexion de l’Emilie (avec les anciens duchés de Parme et de Modène) et celle de la Toscane au Piémont sont prononcées par décret royal. Aussitôt, la cession à la France de la Savoie et du comté de Nice, différée après Villafranca — car l’accord de Plombières ne la prévoyait que si le royaume de Sardaigne s’étendait jusqu’à l’Adriatique —, est signée à Paris par le ministre sarde, le comte Nigra, secrétaire particulier de Cavour ; des avantages qui équivalent à la conquête de la Vénétie ont été en effet assurés au Piémont avec l’accord de l’empereur des Français.


La poursuite de l’unité

La phase suivante des opérations d’annexion est plus difficile, car l’instrument principal va en être Garibaldi, plébéien indomptable, habitué aux coups de force, au reste furieux de la cession à la France de Nice, sa ville natale, et non plus des aristocrates comme l’énergique baron Ricasoli et les nobles toscans qui ont formé avec lui le gouvernement provisoire. Il s’agit en outre de s’opposer à Naples à un jeune roi de vingt-trois ans dont la mère, très aimée du peuple, est une princesse de Savoie et qui est soutenu par les sympathies de toutes les cours, excepté celle d’Angleterre, ainsi qu’au pape, détenteur d’un pouvoir tenu pour sacré par la plupart des catholiques. Cavour, revenu au pouvoir, a envoyé à toutes les chancelleries européennes une circulaire où il déclare impossible au roi Victor-Emmanuel de s’opposer à la marche naturelle et fatale des événements, et une autre aux représentants du royaume à l’étranger, admettant qu’après les vains efforts de la diplomatie le devoir des populations est d’agir par elles-mêmes. Cependant, il ne peut aller plus loin.

L’audacieuse expédition des Mille, qui conduit Garibaldi et ses fidèles, mazziniens pour la plupart, de Quarto, petit port voisin de Gênes, jusqu’au port sicilien de Marsala, va prendre et conserver dans l’histoire de l’Italie une couleur de légende (6 mai - 7 sept. 1860). Cavour doit se borner à contenir l’indignation des cours étrangères et à faire valoir l’appui que le hardi condottiere recevait des populations ; mais il lui faut encore ordonner à l’amiral Persano, dont la flotte surveille le détroit de Messine, de laisser passer Garibaldi en Calabre, alors que le roi le lui a interdit, pour paraître condescendre au désir de Napoléon III.

François II s’est résigné à la perte de la Sicile, mais il espère encore, en annonçant une Constitution, en adoptant le drapeau italien, amener la Sardaigne à s’allier avec lui et ainsi préserver le reste de son royaume. Cavour paraît se prêter à ces négociations, mais il engage sous main Garibaldi à aller de l’avant. La marche de ce dernier du détroit à Naples, accompagné seulement de quelques officiers, ne rencontre d’ailleurs aucun obstacle. Mais enivré de ses succès, pris entre les conseils opposés de Giorgio Pallavicino, qu’il a nommé prodictateur, et des mazziniens, représentés surtout par l’avocat sicilien Crispi, Garibaldi fait craindre à Cavour un coup de main contre l’État pontifical, qui aurait obligé de nouveau Napoléon III à intervenir, mais comme défenseur du pape. Pour le devancer, il faut que le gouvernement de Turin intervienne lui-même. Les représentants que Victor-Emmanuel envoie à Paris afin d’obtenir l’autorisation de rejoindre le royaume de Naples à travers les Marches et l’Ombrie reçoivent la réponse célèbre : « Faites, mais faites vite. »

Les mains libres, les généraux Fanti et Cialdini triomphent facilement à Castelfidardo (18 sept.) des forces pontificales. Il est beaucoup plus difficile à Garibaldi de vaincre sur les bords du Volturno l’élite des troupes bourboniennes entourant la citadelle de Gaète, où s’est enfermé le roi François II (1er oct.), mais l’arrivée inopinée d’un bataillon piémontais débarqué de Naples lui assure le lendemain l’avantage. Le 26 octobre, Victor-Emmanuel rencontre au voisinage de Teano (prov. de Caserte) Garibaldi, qui le salue du titre de roi d’Italie et lui remet tous ses pouvoirs. Six jours auparavant, les habitants des Deux-Siciles ont, d’ailleurs, exprimé dans un plébiscite à la quasi-unanimité leur volonté d’être agrégés à la monarchie de Savoie. Le 14 mars 1861, le royaume de Sardaigne est érigé en royaume d’Italie, et, le 17 mars, les représentants de toutes les provinces italiennes, moins ceux de Vénétie et des restes du patrimoine de Saint-Pierre, réunis à Turin, confirment officiellement à Victor-Emmanuel II le titre que l’action de Cavour lui a assuré.

Jusqu’au bout, celle-ci allait cependant être contrariée par des intrigues parlementaires ou des rancunes personnelles. Rattazzi a ouvertement rompu avec Cavour en mai 1860, pendant la discussion du traité cédant à la France la Savoie et Nice. Cavour s’est admirablement défendu en montrant que la Savoie lui revient par le même principe des nationalités qui, aujourd’hui, rassemble autour du Piémont tant de terres italiennes et, quant au comté de Nice, qu’il est géographiquement et économiquement tourné vers la France, qu’on y parle le provençal, le tout appuyé sur des témoignages de savants irrécusables et confirmé, là encore, par le vœu des populations. Garibaldi, cependant, ne désarme pas, car, pour lui, l’amour de sa petite patrie est une raison de vivre. Le 18 avril, il prononce au Parlement de Turin un discours d’autant plus violent contre Cavour que la fusion malaisée des troupes garibaldiennes dans l’armée régulière provoque des rancœurs et des susceptibilités. L’intervention personnelle du roi parvient finalement à réconcilier le ministre et le condottiere.