Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carmes (suite)

À peine née, la réforme connaît l’épreuve : un vicaire général, Nicolas Doria (1539-1594), trahit l’esprit de ferveur thérésienne par un gouvernement d’une extrême rigueur. Ses principales victimes sont saint Jean de la Croix, Anne de Jésus et le P. Jérôme Gratien. Premier supérieur de la congrégation autonome, celui-ci a décidé les Carmes à entreprendre l’évangélisation du Congo. Estimant cet apostolat susceptible de faire dévier l’ordre de sa vocation érémitique, le P. Doria met un terme à cette expérience. Ses héritiers décident de refuser le gouvernement des fondations réalisées en dehors des possessions espagnoles, car, par la fondation d’un couvent à Gênes (1584), les déchaux ont, en effet, passé les frontières de l’Espagne. La proposition d’une fondation à Rome provoque une crise : c’est ainsi que la réforme est scindée elle-même en deux congrégations : celle d’Espagne et celle d’Italie (13 nov. 1600).

C’est d’Italie que viennent les déchaux qui introduisent la réforme en Pologne, en Belgique, en France, en Allemagne, etc. (Paris, 22 mai 1611 ; Cologne, 1614 ; Vienne, 1622). Deux carmes prennent une part importante à cette propagation : Thomas de Jésus et Dominique de Jésus-Marie. Pénétrés aussi d’esprit missionnaire, ils sont à l’origine de la congrégation pontificale de la Propagande. Des missionnaires sont envoyés en Perse (1608), au Malabār (1620), en Syrie (1627), en Iraq (1640), en Chine (1696). Le P. Bernard de Saint-Joseph (1597-1663), évêque de Babylone, fonde le séminaire des Missions étrangères à Paris.

Les Carmes déchaux ne négligent pas pour autant la science. Jean de la Croix en 1926, Thérèse d’Ávila en 1970 seront proclamés docteurs de l’Église en raison de leur œuvre mystique. Les traités de philosophie des carmes d’Alcalá, de théologie de ceux de Salamanque, ceux du Français Philippe de la Sainte Trinité ont fait longtemps autorité. Les œuvres de pédagogie ascétique du P. Jean de Jésus-Marie, Espagnol (1564-1615), ont été abondamment traduites. Le P. Andrés de la Encarnación (1716-1795), au prix d’un labeur immense, rassembla en un corpus les œuvres de saint Jean de la Croix.

À la fin du xviiie s., la philosophie des lumières puis la Révolution française vident les cloîtres. Dans la seconde moitié du xixe s., ici plus tôt, là plus tard, le désir de « voir Dieu » en repeuple un bon nombre. En 1875, un décret de Pie IX réunit les deux congrégations réformées d’Espagne et d’Italie.

De nos jours, renouant avec la tradition intellectuelle des Carmes des xviie et xviiie s., le P. Silverio de Santa Teresa a rassemblé à Burgos une mine de documents sur l’histoire de la réforme. En France, le P. Bruno de Jésus-Marie (1892-1962), par sa revue les Études carmélitaines, a donné une impulsion aux études de psychologie religieuse.


Les Carmes de l’antique observance (O. Carm.)

Dans les régions méridionales de l’ancien ordre, la fin du xvie s. voit se développer un mouvement général de réforme spirituelle. Au nord des Alpes, l’observance de Touraine s’étend sur tous les couvents au cours du xviie s. Leurs chefs de file et écrivains spirituels se nomment Pierre Behourt, Philippe Thibault, le frère aveugle Jean de Saint-Samson, grand mystique et âme de ce mouvement, Dominique de Saint-Albert, le théologien Léon de Saint-Jean, le P. Maur de l’Enfant-Jésus. Le P. Michel de Saint-Augustin et la mystique flamande Marie de Sainte-Thérèse (1623-1677) tracent les étapes de l’union avec Dieu par le chemin de l’intimité avec la Vierge.

En Allemagne, le premier chapitre provincial depuis la réforme luthérienne est tenu à Würzburg le 13 juillet 1652. Il couronne les efforts des PP. Philippinus et Gabriel von der Verkündigung pour amener les deux provinces à une observance dont la vie d’oraison soit l’âme. Dans les provinces du sud, les personnalités spirituelles les plus marquantes sont la mystique florentine sainte Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1604) et l’Espagnol Miguel de la Fuente.

En 1765, l’ordre compte 15 000 membres répartis dans les 782 couvents de 46 provinces. Un siècle plus tard, pour les mêmes raisons que celui des déchaux, il est réduit à rien. Le xxe siècle voit une vigoureuse reprise.

Les Carmes fournissent une sérieuse contribution scientifique à la théologie et à l’histoire de l’Église avec les instituts de Merkelbeek (Pays-Bas) et de Rome.


Les carmélites

La branche féminine du Carmel a plus d’un siècle d’existence quand sainte Thérèse d’Ávila inaugure sa réforme (1562) ; mais l’« antique observance » se perpétuera jusqu’à nos jours.


Les carmélites de l’antique observance, ou carmélites « chaussées »

Dès leurs origines, les ordres mendiants ont vu des fraternités séculières s’agréger de plus en plus à leurs communautés par la fréquentation de leurs églises et de leurs couvents. Des laïques, hommes et femmes, portent l’habit de l’ordre et prononcent des vœux, conformément à leur état. En 1452, une bulle est sollicitée du pape, qui permet aux religieuses de devenir des moniales à part entière en restant dans leur famille.

Dans le fil du courant de réforme animé par Jean Soreth apparaissent alors les premiers monastères de carmélites cloîtrées, à Gueldre et à Nieukerk, puis à Liège et en Bretagne,

Aux carmélites bretonnes, Jean Soreth donne les constitutions des sœurs de Liège. Le but qui leur est assigné est défini en ces termes : « Cognoistre Dieu et le servir et le prier pour le salut du monde. » En 1479, démarche significative, la duchesse Françoise d’Amboise, qui était devenue moniale, recourt au pape Sixte IV pour une révision des constitutions : les moniales souhaitent ne plus être soumises au provincial, mais directement au général de l’ordre.

Comme en Italie, en Allemagne et en France, les sœurs agrégées à l’ordre en Espagne tendent à former des communautés purement contemplatives, mais dans des cadres juridiques variant suivant les lieux. À Valence (1502), à Séville (1513) les sœurs sont cloîtrées et suivent les constitutions calquées sur celles de Vannes. La situation est différente à Ávila (1515), où une communauté de béates vient d’inaugurer son nouveau et trop vaste monastère. Beaucoup de religieuses, sans vocation solide, doivent visiter leurs familles pour solliciter subsistance et aumônes ; la communauté des biens est battue en brèche ; les besoins rendent les supérieures dépendantes des visiteurs, même importuns ou trop assidus. Les Carmes non réformés avivent les intrigues. En 1562, jugeant la situation sans remède, sainte Thérèse accomplit sa réforme.

Mais, comme stimulée par la réforme thérésienne, l’antique observance se réveille. Elle vit encore de nos jours et compte 56 monastères de par le monde (1963), dont 25 en Espagne et 10 en Italie.