Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bourgogne (dynastie de) (suite)

Alphonse VI de León avait confié à son gendre, Henri de Bourgogne, le comté de Portugal, c’est-à-dire les territoires compris entre le Minho et la ligne Mondego-serra da Estrela. Théoriquement, Henri relevait de son cousin Raimond de Bourgogne, investi de la Galice. Dans un premier temps, il se libéra de cette subordination en se mettant sous la suzeraineté directe du roi de León. Puis, profitant des querelles dynastiques dans le royaume voisin, il mena une politique de plus en plus indépendante.

Au cours d’un long règne de près de soixante ans, son fils, Alphonse Ier Henriques, allait transformer cette indépendance de fait en indépendance de droit. Victorieux des Castillans à São Mameda (1128), il prend le titre de roi de Portugal en 1139 et remporte la bataille d’Ourique contre les musulmans. En 1143, l’ancien suzerain du León se résigne à reconnaître le nouveau royaume. Pour plus de sûreté, Alphonse Ier Henriques se place sous la suzeraineté du Saint-Siège ; mais il faudra attendre 1179 pour que la papauté ratifie officiellement ce titre royal.

À cette date, le royaume s’est déjà assuré la ligne du Tage ; Lisbonne a été reprise, définitivement cette fois. Les Portugais poussent même des offensives au sud du fleuve : Evora est atteinte en 1165, et Silves en 1189. Arrêtée un moment par la contre-offensive almohade, la poussée chrétienne reprend avec une vigueur accrue dans les premières décennies du xiiie s. Alcácer do Sal est repris ; puis, avec Sanche II, c’est la descente le long du Guadiana et la prise de Tavira ; enfin, en 1249, Alphonse III s’empare du dernier bastion musulman en Algarve. Le Portugal prend dès lors la physionomie que nous lui connaissons de nos jours, hormis quelques rectifications sur les frontières de Castille.

Dans leurs opérations de reconquête, les rois ont pu compter sur deux forces organisées. Parfois, ils ont réussi à obtenir l’appui de croisés sur le chemin de la Terre sainte. Mais surtout les souverains firent appel aux ordres militaires : Hospitaliers et Templiers, ou bien Calatrava et Santiago (Saint-Jacques) da Espada.

En quelques décennies, le royaume portugais s’était accru de plus du tiers de sa superficie. Au vieux noyau chrétien du Nord, densément peuplé, venait s’ajouter un territoire immense, mais pratiquement désert. Ce n’était pas sans poser de graves problèmes. Quelle serait la place de ces nouveaux groupes, mozarabes, juifs et musulmans, dans la communauté portugaise ? Par ailleurs, les chrétiens prenaient possession d’un pays ruiné : l’Alentejo, par exemple, avait été pendant des siècles le théâtre de luttes entre chefs musulmans d’abord, entre chrétiens et musulmans ensuite ; l’opulente Pax Julia n’était plus que le misérable bourg de Beja, où quelques familles mozarabes se serraient autour de la seule église restée debout.


Le cadre social

L’extension territoriale a entraîné des transformations dans le domaine social : développement prodigieux de la grande propriété noble ou ecclésiastique et renforcement des garanties accordées aux hommes libres.

Dans le premier noyau portugais, nous retrouvons les deux ordres privilégiés traditionnels : le clergé, fort riche et doté de nombreux privilèges, et la noblesse. Celle-ci repose essentiellement sur deux critères : propriété foncière et service de l’État. L’appellation de ricos homens qualifie ces riches propriétaires investis, en outre, de hautes fonctions ; à un niveau inférieur, nous trouvons les fidalgos et les cavaleiros.

Évoquer le tiers état, c’est, du moins dans les débuts de la monarchie, évoquer la masse paysanne. Le servage n’est pas inconnu au Portugal, encore que cette institution soit en voie de disparition. La densité de population est telle que la majeure partie des paysans ne possèdent point de terres : ou ils travaillent celles d’autrui, ou ils se louent comme salariés. Toutefois, dans ce monde rural, une certaine aristocratie se dessine : propriétaires disposant d’un train de labour et surtout cavaleiros vilãos, qui servent dans la cavalerie, comme les nobles.

Les ordres privilégiés ont largement bénéficié des générosités royales au fur et à mesure de l’extension du royaume. Les ordres militaires ont été gratifiés de vastes territoires. Mais, par le système des commanderies, c’est finalement la noblesse qui a été la grande bénéficiaire de ces largesses. Si elle avait pu transférer dans ces immenses domaines les privilèges d’exemption d’impôts et d’immunité dont elle jouissait dans le nord du pays, le danger aurait été grave pour la monarchie. Aussi, la politique de peuplement menée par les souverains dans ces régions répond-elle à un double but : mettre en valeur le pays, mais, en même temps, par l’octroi de privilèges, faire pièce à la noblesse.

Les chartes de peuplement, analogues à celles qui avaient été accordées pour les terres déshéritées du Trás-os-Montes, sont fréquentes dans l’Alentejo. Ainsi sont créés des concelhos, communautés rurales ou urbaines qui disposent d’une certaine autonomie, en particulier pour le choix des magistrats. Au xiiie s., douze sont implantés dans l’immense territoire d’Evora.


Le cadre politique

Cette lutte continuelle a donné à la monarchie portugaise son caractère propre. Le Portugal ne semble pas avoir connu le régime féodal, ou du moins cette pyramide de pouvoirs que connaît l’Europe occidentale. L’autorité royale y a été plus précoce qu’ailleurs, car c’est un État récent, conçu en fonction de la Reconquête. Or, toute la nation participe à cette tâche ; jamais l’organisation militaire n’a reposé sur le régime féodal. Les paysans servent à l’armée, certains même dans la cavalerie. Loin de diminuer, le domaine royal s’accroît sans cesse grâce aux conquêtes. L’administration royale n’a jamais disparu, mais, au contraire, se renforce.

Le roi gouverne assisté de quelques hauts fonctionnaires, qui constituent la curia regis, et, en cas de besoin, d’assemblées plus nombreuses, les ancêtres des Cortes. Aux Cortes de Coimbra, en 1211, ne figurent que des représentants de la noblesse et du clergé ; en 1254, à Leiria, apparaissent les premiers représentants du tiers état, plus précisément des députés des concelhos. Leur apparition traduit bien la volonté royale de réduire le rôle et les ambitions des ordres privilégiés. Les Cortes ne limitent nullement l’autorité royale. Ce ne sont que des assemblées consultatives, convoquées à la diligence du souverain.