Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernard (Claude)

Physiologiste français (Saint-Julien, Rhône, 1813 - Paris 1878).



Sa vie

Son père, cultivateur et viticulteur, semble avoir eu une personnalité effacée, mais Claude Bernard gardera toujours un véritable culte pour sa mère. C’est au curé de son village natal, l’abbé Bourgaud, que Claude doit d’apprendre le latin. Élève au collège des Jésuites de Villefranche, puis au collège de Thoissey, dans l’Ain, il entre ensuite comme préparateur en pharmacie dans l’officine de M. Millet, à Vaise, un faubourg de Lyon. Mais le jeune homme a d’autres ambitions : il écrit deux pièces de théâtre. La première est un aimable vaudeville, et la seconde, Arthur de Bretagne, un véritable drame historique, sur lequel il fonde beaucoup d’espoirs. Décidément peu fait pour la vie de pharmacien, il vient à Paris présenter ses manuscrits. Saint-Marc Girardin, célèbre critique littéraire de l’époque, auquel il soumet ses œuvres, lui conseille d’abandonner une voie pour laquelle il ne semble pas avoir d’aptitude particulière et l’engage plutôt, puisqu’il a déjà eu des contacts avec la pharmacie, à poursuivre les études de médecine. Là se situe une première rencontre d’importance : Claude Bernard est stagiaire, puis externe de François Magendie. Il devient interne des hôpitaux en 1839. Déjà sa prédilection pour le laboratoire est nette, et, de 1840 à 1850, il travaillera avec efficacité dans le laboratoire de Magendie. Son goût pour la chimie lui fait fréquenter parallèlement le laboratoire de Théophile J. Pelouze, qui s’intéresse à la chimie adaptée à la physiologie : il n’est pas véritablement l’élève de ce laboratoire, mais plutôt l’« hôte assidu ». Par contre, l’élève de marque en est Marcelin Berthelot*, qui collaborera en 1848 avec Claude Bernard, notamment dans ses travaux sur le foie. Deux autres chimistes travaillent avec Pelouze : Charles A. Barreswil et Margueritte. C’est grâce au réactif de Barreswil (remplacé plus tard par celui de Fehling) que le sucre a pu être mis en évidence dans le sang ; ce sera la base de nombreux travaux de Claude Bernard. En 1843, celui-ci est docteur en médecine ; en 1844, il échoue au concours d’agrégation d’anatomie et physiologie malgré une somme de travaux déjà importante, en partie, semble-t-il, du fait d’une présentation et d’une élocution défectueuses. Déçu par son échec au concours d’agrégation, il crée avec Charles E. Lasègue (1816-1883), en 1845, un laboratoire libre de physiologie. Mais, au bout d’un an, là encore, les ressources financières étant réduites, tout échoue.

Découragé, Claude Bernard est sur le point d’abandonner le laboratoire et de se consacrer tant bien que mal à une médecine de soins pour laquelle il ne se sent aucune attirance, lorsque Magendie, qui a testé sa valeur, lui offre un poste de préparateur dans son laboratoire de l’Hôtel-Dieu. C’est le début d’une longue période de publications qui se succèdent sans interruption et qui vont ouvrir la voie à la physiologie moderne.

Claude Bernard est rapidement célèbre. Docteur ès sciences naturelles en 1853, il est élu à l’Académie des sciences en 1854 ; la même année, on crée pour lui une chaire de physiologie expérimentale à la Sorbonne. En 1855, Magendie meurt en lui « léguant » en quelque sorte sa chaire du Collège de France. En 1868, Claude Bernard laissera cette chaire à Paul Bert pour devenir professeur de physiologie au Muséum d’histoire naturelle, où les conditions matérielles seront plus confortables. L’année 1868 est aussi celle de son élection à l’Académie française. En 1869, Claude Bernard est nommé sénateur par décret impérial.

Doit-on en conclure qu’il jouit d’une félicité sans ombre ? Ce serait compter sans ses déboires familiaux. En 1844, on lui a fait rencontrer la fille du docteur Martin, qu’il épouse l’année suivante. Jamais couple ne fut plus mal assorti. Elle est extrêmement mondaine et dotée d’un caractère ombrageux ; aussi ne pardonne-t-elle pas à son mari de se consacrer avec autant d’ardeur aux sciences au détriment de l’intérêt qu’il aurait pu porter à son propre intérieur. De son côté, Claude Bernard déteste les mondanités, se sent fort mal à l’aise en face des honneurs dont on l’entoure et ne pense véritablement qu’à ses travaux, auxquels il a d’ailleurs consacré une partie de la dot de sa femme. Celle-ci est d’un naturel dévot. Claude Bernard est libéral. Ils auront quatre enfants, mais les deux garçons mourront prématurément à trois et quinze mois. Ces deuils, surtout le dernier, seront très douloureusement ressentis par Claude Bernard, qui en fera le reproche à sa femme en des termes sévères : « Si vous aviez soigné notre fils comme vous soignez vos chiens, notre petit ne serait pas mort ! »

Qui plus est, les deux filles partagent entièrement le point de vue maternel, et les trois femmes font campagne contre la vivisection prônée par le physiologiste. Ces existences sans aucun point commun devaient aboutir à une séparation en 1868.

C’est à cette époque que se situe une rencontre importante dans la vie de Claude Bernard : celle de Mme Raffalovich. C’est une juive d’origine russe, née à Odessa et qui, malade, est venue se fixer avec son époux à Paris. Elle a acquis rapidement une très grande influence, notamment dans les milieux politiques. Elle estime le génie créateur du savant et sa grande modestie. Lui, de son côté, admire en elle l’intelligence ouverte alliée à un charme et à une aisance dont il se sent lui-même dépourvu. Une correspondance abondante s’établit entre eux, puisqu’en dix ans cinq cents lettres seront échangées.

À partir de 1865, Claude Bernard est assailli de troubles variés, imprécis, et qui ne seront jamais élucidés. Son faciès s’altère, et son entourage accuse les « caves » insalubres et humides qui lui servent de laboratoire au Collège de France. Des troubles intestinaux apparaissent, qui l’obligent à se reposer, notamment à Saint-Julien, dans sa maison natale, qu’il a rachetée en 1861 et où il aime à s’occuper lui-même de la fabrication des vins. C’est là qu’il rédigera son œuvre la plus célèbre, l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), préface d’une œuvre qu’il laissera inachevée, les Principes de médecine expérimentale. La guerre de 1870 l’éprouve physiquement et moralement. Après le conflit, Claude Bernard rentre à Paris, passant le plus clair de son temps au Collège de France avec son élève d’Arsonval.

Il meurt en février 1878. Gambetta demandera pour lui à la Chambre des députés les funérailles nationales.