Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernard (saint) (suite)

Le ministère est service, non puissance. On se tromperait — des réformateurs l’ont fait — si l’on interprétait saint Bernard comme niant la hiérarchie. Lui-même eut à lutter contre des « apostoliques » cathares de la région de Cologne ou dans le Languedoc, qui combattaient la succession apostolique des évêques parce qu’ils ne vivaient pas comme les Apôtres. À l’inverse, Bernard part du fait imprescriptible du ministère hiérarchique pour exiger de celui-ci pureté morale et détachement évangélique. C’est l’Église des saints, des spirituels, où le salut se réalise par une hiérarchie des services dont le principe est l’amour. La hiérarchie a comme mission principale et indispensable celle de convertir les âmes, de les faire accéder à la vie de l’esprit par l’amour. C’est la raison des exigences de saint Bernard pour les pasteurs du troupeau. Dans son traité Aux clercs, il s’écrie : « Comment Dieu confierait-il ses brebis tant aimées à celui qui serait incapable d’aimer ? » Ses multiples interventions dans les affaires de l’Église sont inspirées par ce motif, de même que son ambition de faire occuper par ses moines les plus hautes fonctions ecclésiastiques.


L’arbitre de l’Europe

En son temps, saint Bernard fait autorité dans toute la chrétienté. Le prestige de sa sainteté en est sans doute le facteur principal, mais aussi son talent d’orateur et surtout son art de persuasion. Ses coups de théâtre pour gagner le duc Guillaume X d’Aquitaine ou l’empereur Conrad III de Hohenstaufen (1138-1152) sont caractéristiques, de même que la fougue avec laquelle il se lance dans la prédication de la deuxième croisade. Dans ce dernier cas, il a conscience d’accomplir un ordre du pape et, quand il voit les foules répondre à son appel, il lui écrit que sa mission est accomplie. Par deux fois on lui fait savoir qu’il s’occupe trop de politique, par deux fois il déclare qu’il ne veut plus sortir de son cloître, mais il est aussitôt appelé par le pape, la curie ou les évêques. Il répond à ceux qui font appel à lui comme avocat des grandes causes. C’est lui qui doit parler contre Abélard* pour gagner la partie, pense Guillaume de Saint-Thierry, qui le convainc que l’Église est en péril, comme il l’avait lancé dans la querelle des observances en lui faisant écrire l’Apologie, dirigée contre les clunisiens. Aussitôt, saint Bernard se lance dans un plaidoyer sarcastique et souvent peu fondé. Abélard n’était pas l’hérétique qu’il a dépeint, pas plus que Gilbert de La Porrée (1076-1154). On a dit que saint Bernard combattait la pensée dialectique, le dernier des Pères contre le premier homme moderne, « l’obscurantisme contre la libre pensée » !... Mais Bernard n’est nullement hostile au raisonnement. Il a été dialecticien à ses heures et il a protégé des intellectuels comme Jean de Salisbury, Robert Puller, le fondateur de l’université d’Oxford, et Pierre Lombard. Ce qui l’irrite personnellement chez Abélard et l’inquiète, c’est une théorie qui ne puise pas son inspiration dans l’expérience d’une vie spirituelle. Dans toutes ses interventions, Bernard semble ne vaincre sa timidité que par les excès de sa fougue, la violence verbale et des procédés « efficaces ». La partie gagnée, il en a scrupule et cherche à se réconcilier avec ses adversaires. Son rôle est le plus souvent pacificateur dans les conflits politiques. Mais les tentations du pouvoir sont grandes. C’est vraiment toute l’Europe qu’il domine de sa personnalité quand un de ses moines, élu archevêque d’York, reçoit en sa présence, à Trèves, le pallium des mains d’un autre de ses moines, le pape Eugène III.


Le rayonnement de Clairvaux

Saint Bernard jouit d’une personnalité attirante, fascinante même. Il attire à Clairvaux une multitude de moines, qu’il recrute dans toutes les classes de la société : clercs, chevaliers, étudiants et manants. Son biographe parle de plusieurs grands « coups de filet » opérés au cours de ses voyages. Le premier a lieu à Châlons-sur-Marne, en 1116, d’où il ramène à Clairvaux une trentaine de jeunes gens, nobles et lettrés. Leur maître, Étienne de Vitry, voyant son école déserte, les y suit, sans pourtant y rester plus d’un an. À Reims, l’abbé obtient le même succès. D’un voyage en Flandre, en 1131, Bernard ramène encore une trentaine de jeunes gens, dont, parmi eux, Robert de Bruges, qui lui succédera comme abbé de Clairvaux.

En 1140, l’évêque de Paris l’invite à parler aux étudiants. Son sermon, qui nous est parvenu, fait plus de vingt-cinq recrues. Prêchant en 1146 la croisade en Flandre et sur les bords du Rhin, s’il recrute des croisés, il fait aussi des captures pour le noviciat de Clairvaux (plus de soixante). « Tu veux aller à Jérusalem, dira-t-il, viens à Clairvaux, tu y seras plus vite. » Les mères, disait-on, cachaient leurs fils lors de son passage.

Plus prodigieux encore est l’expansion de la filiation de Clairvaux sous son abbatiat. En trente-cinq ans, il fonde 69 abbayes, qui essaiment à leur tour, de sorte que, sur les 345 monastères cisterciens existant à la mort de saint Bernard, 167 relèvent de Clairvaux, répartis en douze pays.

Une fondation signifiait chaque fois le départ de douze moines avec, à leur tête, un abbé. L’abbé père avait à visiter ses abbayes filles. Quoi d’étonnant si Bernard fut un mois sur trois absent de son abbaye ! Son influence spirituelle, celle de ses écrits, s’étendaient à tous ces moines. Il y en avait jusqu’à cinq cents dans certains monastères. Plusieurs accédèrent à des charges importantes dans l’Église : un pape, cinq cardinaux, onze évêques. Une dizaine ont laissé un nom dans l’histoire littéraire.


L’œuvre écrite

La pensée, la prière de saint Bernard sont tout imprégnées de la Bible, de ses images, de ses exemples, de ses mots. Celle-ci est la source de sa spiritualité, où s’exerce le « souvenir » dans l’attente de la « présence ». Par la liturgie et par la lecture des Pères, saint Bernard est sans cesse au contact des paroles bibliques, qui sont devenues les siennes.