Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Berlioz (Louis Hector) (suite)

Partisan convaincu de la musique à programme, il achève en 1834 une symphonie pour alto principal et orchestre dont le héros imaginaire est emprunté au répertoire byronien : Harold en Italie. La première audition de cette symphonie (23 nov. 1834) précède de trois ans seulement celle de la Grand-Messe des morts (Requiem), donnée le 5 décembre 1837 aux Invalides. L’effet produit par les cinq orchestres et les huit paires de timbales déchaînées dans le Tuba mirum est, selon Berlioz, « foudroyant » ; Vigny, dans son Journal, note simplement : « Musique belle et bizarre, sauvage, convulsive et douloureuse. »

À l’Opéra, l’année suivante, Benvenuto Cellini (10 sept. 1838), dont l’ouverture seule avait été acclamée, se solde par un échec, mais Berlioz prend sa revanche en dirigeant, le 16 décembre de la même année, un concert de ses œuvres à la fin duquel Paganini, présent, se met à genoux devant lui ; dès le lendemain, le célèbre virtuose l’honore d’un don substantiel en espèces, et, quelques semaines plus tard, Berlioz est nommé conservateur de la bibliothèque du Conservatoire.

Malgré ces indices réconfortants, les œuvres qu’il compose sont diversement accueillies. Roméo et Juliette, « symphonie avec chœurs, solos de chant et prologue en récitatif harmonique, composée d’après la tragédie de Shakespeare », échoue à la troisième audition ; cependant, cette œuvre, d’esprit dramatique et riche de trouvailles géniales, inaugurait l’ère du poème symphonique avec chœurs. La Symphonie funèbre et triomphale (1840) passe presque inaperçue, et les récitatifs de la reprise du Freischütz de Weber à l’Opéra (1841) n’obtiennent qu’un succès très relatif.

Accablé de soucis financiers et de scènes familiales (sa femme s’adonne maintenant à la boisson), Berlioz s’éprend de la jeune cantatrice Maria Recio, mais les bavardages qu’engendre cette liaison et les ruptures qu’elle suscite lui font prendre la vie de Paris en horreur. Au début de décembre 1842, Berlioz quitte clandestinement la capitale ; en compagnie de Maria Recio, il parcourt l’Allemagne, qui lui réserve un accueil très mitigé. Mayence et Francfort ont refusé ses œuvres ; Stuttgart, Karlsruhe et Mannheim le déçoivent ; Weimar l’applaudit modérément, tandis que Dresde, Hambourg et Berlin lui font de vrais triomphes, et que Mendelssohn l’accueille amicalement à Leipzig.

À Paris, où il revient en juin 1843, il reprend sa carrière de feuilletoniste et achève son Traité d’instrumentation.

En août 1845, un pèlerinage beethovénien à Bonn l’incite à composer de nouveau ; il entreprend la réalisation définitive de la Damnation de Faust. Il accomplit la plus grande partie de ce travail au cours d’une tournée triomphale en Europe centrale et au hasard du chemin : « En voiture, en chemin de fer, sur les bateaux à vapeur et dans les villes », nous a-t-il confié, son œuvre se construit peu à peu. Lorsqu’il rentre en France, il se retire quelques jours près de Rouen pour composer le duo d’amour « Ange adoré... ». Il écrit le reste à Paris, « toujours à l’improviste, chez lui, au café, au jardin des Tuileries et jusque sur une borne du boulevard du Temple ». Le 19 novembre 1846, le manuscrit de la Damnation de Faust est définitivement achevé. Berlioz en donne à ses frais la première audition le 6 décembre 1846 dans la salle de l’Opéra-Comique. Mais l’enthousiasme de quelques admirateurs ne saurait compenser l’indifférence d’une salle à moitié vide ; la seconde audition, quinze jours plus tard, consacre l’échec d’un chef-d’œuvre sur lequel s’exerce, au surplus, la verve de médiocres confrères.

Ruiné, criblé de dettes, Berlioz s’exile de nouveau dans l’espoir de rétablir sa situation financière : « Je suis entouré de crétins qui cumulent jusqu’à trois places largement rétribuées, tels que Carafa, par exemple, un musicien de pacotille qui n’a pour lui que de n’être pas français », écrit-il à la fin de décembre à sa sœur Nanci pour lui annoncer son départ. « Il n’y a rien à faire dans cet atroce pays et je ne puis que désirer le quitter au plus vite. »

Berlioz part le 14 février 1847 pour la Russie, où l’attendent à Moscou et à Saint-Pétersbourg des triomphes sans précédent ; cependant, l’argent qu’il a gagné couvre à peine ses dettes ; le reste ne suffit pas à faire vivre sa famille, non plus que Maria Recio et sa mère, qu’il entretient. Une tournée à Londres ne lui permet pas de redresser cette situation : Berlioz rentre à Paris, au lendemain de la révolution de 1848, plus pauvre et plus désespéré que jamais. Le chagrin qu’il éprouve à la mort de son père, la pitié que lui inspire son épouse paralytique, les soucis dont Maria est la cause entraînent Berlioz dans la voie d’un profond découragement. Il parvient cependant à se reprendre, commence la rédaction de ses Mémoires, entreprend la composition d’un Te Deum à trois chœurs et fonde en 1850 la Société philharmonique : elle ne durera pas plus de deux ans ; faute d’auditeurs, les concerts périclitent. Berlioz pose sa candidature au fauteuil laissé vacant par la mort de Gaspare Spontini : l’Institut lui préfère Ambroise Thomas. Les concerts de Londres (mai-juin 1852) sont de faible portée.

Au sein de cette immense détresse, une lueur d’espoir lui parvient : Liszt organise à Weimar, en novembre 1852, une « semaine Berlioz ». Benvenuto Cellini, Roméo et Juliette, les deux premières parties de la Damnation de Faust remportent un succès éclatant ; le compositeur voit même couronner son buste au milieu d’interminables ovations. Cette joie est de courte durée, car la générosité de Liszt ne peut sauver Berlioz d’une misère qui le poursuit sans relâche. Sans ressources, à bout de forces, Berlioz finira par céder la Damnation de Faust à l’éditeur S. Richault (1780-1866) pour la somme ridicule de 700 francs (30 mars 1858).

Quelques mois après la mort de sa femme (mars 1854), Berlioz épouse Maria Recio (19 oct.) ; la fortune semble un moment lui sourire. L’Enfance du Christ (déc. 1854) réalise l’unanimité dans l’éloge ; un second festival à Weimar (févr. 1855) confirme le succès du premier ; comblé d’honneurs, Berlioz, sur le conseil de Liszt, envisage d’entreprendre la composition d’une œuvre de théâtre inspirée de l’Énéide : ce sera les Troyens (1855-1858). Cette fresque géniale en cinq actes dont Berlioz écrit lui-même le livret ne sera pas intégralement représentée de son vivant.