Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Benavente (Jacinto) (suite)

Señora ama (Maîtresse de maison, 1908) est une pièce d’une rare duplicité. Tout comme les bons bourgeois maintenant assis dans les loges et à l’orchestre, un coq de village court le guilledou. Son épouse, résignée et amoureuse, pardonne, parce que, en fin de compte, c’est elle la patronne, la légitime. Or, l’infidèle était soupçonné d’inceste. Une chute de cheval, quand il se rendait chez une de ses conquêtes, le lave de ce vilain péché ; l’auditoire, soulagé, se réjouit de ce « simple » adultère. Puis la patronne, jusqu’alors inféconde, annonce qu’elle porte un enfant. Et l’auditoire de se livrer à une tendre émotion. Il faut l’aplomb d’un Benavente pour se moquer du public aussi effrontément et s’en faire applaudir.

Il écrivit alors des pièces pour enfants : El príncipe que todo lo aprendió en los libros (le Prince abusé par les livres, 1909), par exemple. Ganarse la vida (Comment gagner sa vie, 1909) est plus amère et plus outrageusement lucide que les comédies pour adultes.

Benavente donne La Malquerida en 1913. C’est peut-être la pièce de son répertoire la plus jouée à l’étranger. Un homme aime sa belle-fille. Il ne s’en rend compte qu’après avoir tué le fiancé de celle-ci, par un acte de jalousie totalement incontrôlé. Or, cette jeune femme l’aimait secrètement, mais se sentait tenue de le détester publiquement, et même, en dernier ressort, sincèrement.

Benavente entre à l’Académie. Pendant la guerre, il est germanophile. Il reçoit le prix Nobel en 1922. Il a alors une centaine de pièces à son actif. La vogue nouvelle pour le cinéma détourne le public du théâtre. Benavente se répète en grossissant les traits : Pepa Doncel (1928). Il cherche le scandale : Para el cielo y los altares (Pour Dieu et sur ses autels, 1928) met en cause des moines, des ministres et des rois. Le dictateur du jour en interdit la représentation. Benavente se rend en Russie. Il en revient pour le moins républicain, et plus que jamais scandaleux et irrespectueux : Cuando los hijos de Eva no son los hijos de Adán (Les fils d’Ève ne sont pas toujours les fils d’Adam, 1931). La plurimorale y est de mise. Ce n’est pas non plus du goût de la jeune République espagnole. Il met en scène de jeunes bourgeois jouant aux révolutionnaires dans No juguéis con esas cosas (Ne jouez pas avec ces choses-là, 1935), c’est-à-dire avec le mariage, les belles manières et les institutions traditionnelles ; car sans ces masques, « vous n’êtes rien ». La guerre civile survient. Il se dit républicain. Le général Franco l’emporte. Il se dit franquiste.

Ainsi vérifia-t-il tout au long de sa vie publique sa doctrine de l’occasion et des intérêts créés. En 1942, on monta cinq nouvelles pièces du fécond dramaturge. D’autres suivirent. En 1953, à la veille de sa mort, il en donnait encore trois. Mais les goûts avaient changé, et lui non. Cet homme avait tenu l’affiche pendant un demi-siècle : il avait sorti le théâtre espagnol de l’ornière ; avant de le remettre dans une autre, il écrivit quatre ou cinq chefs-d’œuvre.

C. V. A.

 J. P. Borel, Théâtre de l’impossible (la Baconnière, Neuchâtel, 1963).

Ben Bella (Ahmed)

Homme d’État algérien (Marnia, Oranie, 1916).



Soldat de l’armée française

À Tlemcen, où il a étudié quelque temps, ce fils de paysans découvre la réalité de la colonisation. La discrimination que subit la communauté algérienne le marque profondément. Pour lutter contre le système colonial, il prend contact avec l’Union nationaliste des musulmans nord-africains, qui devait devenir plus tard le P. P. A. (parti du peuple algérien).

Appelé à faire son service militaire, Ben Bella est affecté au 141e régiment d’infanterie alpine, à Marseille. Il est promu, après examen, au grade de sergent. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, sa bravoure lui vaut une citation ainsi que la croix de guerre.

Démobilisé, il est rappelé en 1943 après l’occupation de l’Afrique du Nord par les Alliés et participe à la campagne d’Italie. Sa lutte contre les forces de l’Axe, il la mène avec autant de courage que de conviction. Il a, dit-il, le sentiment de combattre, aux côtés de la France, un ennemi commun : le fascisme. Peut-être croit-il aussi, comme beaucoup de nationalistes, que la libération de la France hâtera celle de l’Algérie. En 1944, après la prise de Rome, le sergent Ben Bella est décoré de la médaille militaire par le général de Gaulle lui-même.


Le militant nationaliste

En 1945, le soulèvement du Constantinois et la répression qui s’ensuit le déterminent à rentrer en Algérie pour se consacrer à la lutte de libération nationale. D’emblée, Ben Bella s’engage à fond dans le mouvement nationaliste : en 1946, élu au conseil municipal de Marnia, il obtient, après une rude campagne, que les élus algériens participent, tout comme les représentants européens, à la gestion des affaires de la commune. Chargé du ravitaillement, il se met au service de la population de Marnia et parvient ainsi à élargir son audience et à implanter solidement le M. T. L. D. (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), qui se substitue en 1946 au P. P. A. Ses activités nationalistes inquiètent les autorités : en 1947, afin d’éviter d’être arrêté, Ben Bella quitte Marnia pour Alger, change de nom et devient désormais un militant clandestin.


Le chef de l’Organisation spéciale

Le mouvement national traverse alors une crise. Depuis la répression de 1945, la population commence à douter de l’efficacité des méthodes électorales des partis politiques. Les militants les plus résolus du M. T. L. D. attribuent la responsabilité de cette situation à la direction du mouvement et décident de passer à l’action. Ils imposent la création, dans le cadre du parti, d’un organisme secret, l’« Organisation spéciale ». Placé à la tête de cette organisation, Ben Bella parcourt l’Algérie pour contacter les militants nationalistes. En 1949, la tendance dure est assez forte pour imposer un congrès à la direction du parti. Celui-ci décide de mettre l’essentiel des ressources du parti à la disposition de l’Organisation spéciale, et désigne Ben Bella comme responsable de l’organisation politique du parti.