Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bénarès ou Banāras (suite)

Politiquement, Bénarès, par ses nombreuses vicissitudes, a valeur d’exemple à l’échelle de l’Inde. Le royaume de Bénarès, longtemps intégré dans celui de Kanauj, ne put, malgré les efforts désespérés du souverain Jaichand, repousser les invasions musulmanes. Il passa sous le contrôle, au moins théorique, des divers empires musulmans de l’Inde (du sultanat de Delhi à l’Empire moghol). Cette évolution fut d’ailleurs l’occasion de nombreuses destructions de temples de Muḥammad de Rhūr à Awrangzīb (v. Inde), soit du xiiie au xviie s. Cela explique que la majeure partie des temples actuels soit l’œuvre des souverains marathes, qui, dans un souci de restauration religieuse nationale, les firent construire au xviiie s.

Suivant en cela une évolution assez générale en Inde, Bénarès et sa région, par le traité de 1775, passèrent sous le contrôle de la Compagnie britannique des Indes orientales, puis, après la mutinerie des cipayes en 1857, sous celui de la Couronne.

Depuis, Bénarès, avec ses 1 500 temples et ses 400 fêtes religieuses par an, reste le grand centre de pèlerinage de l’Inde : se baigner dans les eaux du Gange est la purification suprême. La ville joue dans ce domaine un rôle semblable à celui de La Mecque pour les musulmans. Le grand nombre de résidences princières, la foule des pèlerins, les touristes venus du monde entier ont offert et offrent un vaste marché pour un artisanat actif, qui fabrique des objets de cuivre et de bronze, et surtout des soieries. Les ateliers de tissage animent la ville et essaiment dans les campagnes environnantes.

La structure de l’agglomération est simple. Le site est une banquette d’alluvions à concrétions calcaires (« kankar ») qui borde le Gange sur sa rive gauche, insubmersible, tandis que la rive droite, très basse, est complètement déserte ; le long du fleuve s’alignent des temples, des résidences de mahārāja de toute l’Inde, des fondations pieuses, depuis les hôtels pour pèlerins jusqu’à une très moderne clinique d’accouchements. En arrière, la ville est faite de maisons assez dégradées à deux ou trois étages ; le long des rues étroites alternent les petits sanctuaires, les boutiques, les ateliers. En marge de la ville se trouve la Banaras Hindu University, et, au-delà du chemin de fer (qui pouvait à l’occasion servir de ligne de défense), le Cantonment britannique contient encore les principaux hôtels.

F. D.-D. et J. K.

Benavente (Jacinto)

Auteur dramatique espagnol (Madrid 1866 - id. 1954).


Son père était un médecin amateur de belles lettres et recevait chez lui José Echegaray (1832-1916), futur prix Nobel. Le jeune Jacinto trouva plus de plaisir à fréquenter les théâtres de Madrid que les amphithéâtres de la faculté de droit. Il aimait jouer lui-même et devint chef de troupe, le temps d’échouer. Cependant, il publiait des Versos (1893), poèmes de facture « fin de siècle », infléchie par la nouvelle musique et la peinture impressionniste. Et il rêvait d’un Teatro fantástico (1892), fantastique et irréalisable. Puis il prit les choses au sérieux et voulut s’imposer au public par une œuvre scandaleuse, Gente conocida (le Tout-Madrid, 1896). C’était du papotage malintentionné chez une duchesse douairière autour du projet d’un mariage qui redorât le blason. Benavente, par ailleurs si doué, si subtil et pénétrant, jamais n’abandonna cette veine frivole. Il était né malicieux. Comme le faisait en ce même temps Bernard Shaw à Londres, il gagnait les faveurs des spectateurs en insultant leur classe, mais toute révérence gardée à leur très particulière personne.

La comida de las fieras (la Curée, 1898) tourne encore autour de fortunes en ruine, celle d’une grande famille et celle d’un jeune couple amoureux. Là se dessine une constante du dramaturge et l’une de ses vertus : il n’y a jamais coïncidence entre ce que disent les hommes, ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Ainsi s’expliquent la tension dramatique entre les personnages qui les représentent sur scène, et le déchirement non moins dramatique au sein de chacun d’eux. Tout est ambigu ; leurs déclarations d’intentions ou de principes ne correspondent ni à leurs impulsions naturelles ni à leurs comportements, et leurs actes conscients se contredisent à tout instant. Seules leurs divagations, leurs élucubrations incontrôlées et les actes qui leur échappent les révèlent sinon à eux-mêmes — car ils sont bien souvent décidés à fermer les yeux sur leur vérité — mais aux spectateurs très attentifs.

La noche del sábado (Samedi soir, 1903) marque une nouvelle étape dans la technique de Benavente et dans ses thèmes. Ce « roman mis en scène en cinq tableaux » témoigne de la compénétration des genres et des arts au début du siècle. Sur la Riviera, une aventurière de grand style, qui avait servi de modèle à un sculpteur et se prenait pour son idéale statue, séduit l’héritier corrompu d’une grande couronne. Au cours d’une orgie, sa fille tue celui-ci. Promptement, la maman arrange la scène pour que l’on croie à un suicide. C’est une thèse qui arrange tout ce beau monde ; ce sera donc la « vérité ». Sur le point malgré tout d’accéder au trône, l’ambitieuse un instant se retrouve face à elle-même lorsque sa fille malade se meurt. Mais, devant le cadavre, elle n’hésite plus : elle « détruira le réel et ses fantômes », elle édifiera, en un acte de volonté qui n’a cure du bien et du mal, la cité de son rêve, où régnera « sa vérité ».

Les pièces se succèdent, toujours discutées, toujours fracassantes : Rosas de otoño et La princesa Bebé en 1905, et même un intermède au titre révélateur, Todos somos unos (Nous sommes tous les mêmes, 1907).

À la fin de cette même année, voici un nouveau chef-d’œuvre : Los intereses creados, une comédie où les polichinelles se mêlent jusqu’à se confondre avec les créatures de fiction censées représenter des hommes. Deux personnages, également odieux, se partagent les rôles, l’un la bonne conscience, l’autre les manœuvres malhonnêtes et sordides, dans une commune entreprise. Ils utilisent les circonstances pour créer autour d’eux un réseau d’intérêts tel que ceux-là même qui connaissent leur vilenie la dissimulent pour ne point tout perdre. Or les gredins sont pris à leur propre jeu : l’un meurt en héros pour la communauté (à vrai dire pour maintenir « sa vérité »). On retrouvera l’autre dans une pièce qui fait suite aux Intérêts créés, La ciudad alegre y confiada (la Ville heureuse et confiante, 1916) : là, il accepte de passer pour un traître, responsable de la perte de la ville, comme par fidélité au vil personnage qu’il avait d’abord assumé et où il trouvait en dernière analyse « sa véritable » essence.