Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bélanger (François Joseph) (suite)

Bélanger dessinait non seulement les plans des édifices, mais aussi les jardins. Le goût des parcs « à l’anglaise » s’était généralisé en France autour de 1765. Le comte d’Artois, alors qu’il faisait élever en 1777 le petit palais de Bagatelle, d’un très pur classicisme, en faisait également dessiner les jardins par Bélanger. Ceux de Belœil (Belgique) et ceux de la folie Saint-James ne furent pas moins renommés. Bélanger les aménagea dans l’esprit du temps, la serre chaude à l’antique voisinant avec un jardin chinois, un rocher sauvage, un petit temple antique et un autre turc, les uns séparés des autres par des ruines gothiques, naturellement factices ; le sens qu’avait Bélanger de la distribution des éléments pittoresques donnait un agrément à cette confusion.

La rationalité vitruvienne, qui réglait l’architecture appareillée, cesse de gouverner son entourage naturel. Les grandes ordonnances de Le Nôtre paraissent froides au xviiie s. : elles prolongeaient celles des monuments. Le xviiie siècle implante ceux-ci dans un foisonnement de formes où la nature, qu’on invoque sans cesse, est assez torturée.

En fait, Bélanger, s’il ne fut pas, comme Chalgrin, le guide d’un style architectural, était un esprit largement ouvert, curieux de toutes les novations. Il se séparait par ce trait des dogmatiques de l’Antiquité. Il fut un précurseur de l’architecture du fer. Un incendie ayant détruit la coupole en bois de l’ancienne halle aux blés, les échevins de Paris invitèrent les architectes à donner des projets pour son rétablissement. De tous les candidats, Bélanger fut le seul à recommander une armature de fer : c’est son programme qu’adopta la Ville.

L’esprit d’initiative du maître s’est manifesté dans un autre domaine, moins connu. Bélanger a certainement pris part à l’institution, en septembre 1792, d’une manufacture de papiers de tenture ; en effet, quand, par une requête du 16 décembre 1799, le maître postulera la charge de « directeur des fêtes nationales », il invoquera son expérience : « Son païs, écrit-il, lui doit des manufactures de papiers de tenture et la révolution du décor dans l’intérieur des maisons. » Il le rappellera dans une requête du 4 janvier 1815 : « J’ai créé, rappelait-il au duc d’Aumont, directeur des Menus Plaisirs, une maison de commerce très distinguée par ses succès pour la fabrication des couleurs ainsi que pour le papier décoré. » À soixante et onze ans, au retour des Bourbons, Bélanger recouvrait la surintendance des Bâtiments de Monsieur, mais celle-ci n’était plus, dans la situation du royaume, qu’une supervision administrative, qu’il exerça jusqu’à sa fin, en 1818.

G. J.

bel canto

Style de chant dont la technique exige à la fois la beauté du son, un phrasé souple, une grande virtuosité dans l’exécution des ornements et des vocalises, et qui peut s’appliquer aux formes les plus diverses du répertoire profane, religieux ou populaire.


Un tel style est aussi ancien que l’art du chant. On le pratiquait déjà dans l’ancienne Égypte. Il apparut dès le début de l’ère chrétienne dans le chant ecclésiastique et se développa notamment à partir du ive s. sous la forme du jubilus, ample vocalise libérée de la tutelle des mots. Au Moyen Âge, il persista dans les chansons et les danses populaires, dans la lauda monodique italienne, dans les mélodies des troubadours et des trouvères, ainsi que dans la polyphonie des xiie et xiiie s. L’ornementation se compliqua au xive s. Guillaume de Machaut usa de la vocalise dans toutes les voix. Sous l’influence de musiciens qui avaient voyagé en Italie, tel G. Dufay, la tendance s’accentua encore au xve s. Tandis que, dans le canon, le ricercare et la fugue, le style d’imitation asservissait au xvie s. la libre et fantaisiste mélodie, naquit en Italie la monodie accompagnée, qui, délivrée des entraves de la polyphonie, prit son essor en entraînant avec elle l’ornement, la vocalise, la variation et la diminution, c’est-à-dire la substance même du bel canto. À partir de 1535, des professeurs de chant commencèrent à dresser des catalogues où étaient classés tous les procédés techniques (ornements, passages) permettant d’enjoliver, de colorer et de diminuer des mélodies écrites en style syllabique. L’initiative des embellissements était laissée à l’interprète, qui pouvait, à son gré, choisir — et ce sera là l’un des traits les plus remarquables du bel canto — les formules qui lui convenaient le mieux. À la fin du siècle, la vogue de la monodie, favorisée par l’imitation des Anciens et le goût des mélodies populaires, suscita, sous l’impulsion de chanteurs comme Iacopo Peri (1561-1633) et Giulio Caccini (v. 1550-1618), une véritable floraison de chant orné. Caccini, appelé parfois le « père du bel canto », connaissait les essais monodiques de Vincenzo Galilei (1533-1591) et les théories humanistes de la Camerata florentine. Dans la préface de ses Nuove Musiche (1601), il indique les règles d’exécution des traits, ou passages, des broderies, des sons filés, du trillo (répétition rapide d’une même note) et du gruppo, notre trille moderne, qui, selon lui, autorisaient l’interprète à s’affranchir de la mesure régulière en allongeant ou en diminuant la durée des notes selon le sens des phrases, afin d’avoir un chant « plein d’abandon ». Les principes qu’il exposait impliquaient une liberté contrôlée par le bon goût et la musicalité. Ils portaient toutefois en eux le germe de la décadence du style, car ils ne devaient pas tarder, par la faute de chanteurs trop enclins à sacrifier l’expression à la virtuosité acrobatique, à provoquer des abus de nature à déconsidérer le bel canto auprès d’un public raffiné. Le bel canto, que Caccini appelait encore buon canto (bon chant), se développa surtout en Italie, pays des voix naturellement belles et très entraînées, grâce au talent de ses cantatrices, comme l’interprète de Peri, Vittoria Archilei (1550 - apr. 1618), et le soprano « coloratur » Francesca Caccini (1587-1640), ainsi que de ses castrats, chanteurs insurpassables dans l’émission des sons filés et l’exécution, d’une seule haleine, de traits vertigineux. Dans l’art profane comme dans l’art sacré, aucun compositeur du début du xviie s. n’échappa à la mode, pas plus Monteverdi (Orfeo, 1607), pour la cour de Mantoue, que Stefano Landi (1590-1639) [Sant’Alessio, 1632] pour le pape Urbain VIII. Bientôt le bel canto fleurit à Venise, à Rome et à Naples dans les œuvres de Cavalli*, de Luigi Rossi (v. 1598-1653), d’Alessandro Stradella (1645-1682), de Pietro Antonio Cesti (1623-1669), de Giovanni Maria Bononcini (1642-1678) et d’Alessandro Scarlatti*. Cantatrices et castrats, venus de la péninsule, ne tardèrent pas à éblouir les foules européennes par leur surprenante technique. Ainsi, dans Il Pomo d’oro (1667) de Cesti, représenté dans toute l’Italie, en France et en Autriche, certains airs atteignaient déjà le si bémol 4. On y chantait des traits de cinquante notes sur une même syllabe. Les Français devaient accueillir sans grand succès les opéras de Cavalli et de Rossi, représentés à Paris sous Mazarin. Ils aimaient cependant, depuis la fin du xvie s., embellir l’air de cour de fredons, de tremblements, de trémolos et de trilles, de passages et de diminutions ; mais, si l’on en croit le père Mersenne (Harmonie universelle, 1636) et Bénigne de Bacilly (Remarques curieuses sur l’art de bien chanter, 1668), ils s’opposaient à leur généralisation, à l’abus des vocalises et à l’outrance de l’expression. Par contre, Schütz et Heinrich Albert (1604-1651), en Allemagne, et Purcell, en Angleterre, ne dédaignèrent pas la technique d’outremont. Au xviiie s., le bel canto fit fureur à Naples. Après Scarlatti, qui lui donna, avec l’air da capo, son cadre le plus caractéristique, il fut exploité dans l’opera seria, l’opera buffa et la cantate avec une sorte de surenchère par Leonardo Leo (1694-1744), Benedetto Marcello (1686-1739) — maître de chant de la célèbre Faustina Bordoni (1693-1781) —, Leonardo Vinci (1695-1730), Agostino Steffani (1654-1728), Antonio Caldara (1670-1736), Nicola Porpora (1686-1768) et J.-B. Pergolèse (1710-1736). Ces compositeurs écrivaient pour des chanteurs réputés, leur fabriquant des rôles sur mesure, qui mettaient en valeur leurs spécialités (trilles, vocalises, vélocité, sons filés) et l’étendue de leurs voix. Le public en vint alors à se désintéresser de l’intrigue dramatique au seul profit de l’art du chant. Les virtuoses ne cherchèrent plus qu’un succès personnel et se livrèrent à d’incroyables acrobaties, dont la difficulté croissait sans cesse en même temps que l’étendue de leur tessiture, qui atteignit parfois dans le registre aigu le mi 5. En outre, s’ils étaient peu satisfaits de l’importance de leurs rôles, ils se permettaient, sans prendre l’avis du compositeur, d’introduire arbitrairement dans l’opéra des arie di baule (airs de valise), airs passe-partout qui assuraient leur succès. Aussi peut-on dire que ces artistes, des cantatrices comme la Bordoni, la Merighi, la Tesi (Vittoria Tesi Tramontini [1700-1775]), la Cuzzoni (Francesca Cuzzoni Sandoni [1700-1770])..., des castrats fameux comme F. Bernardi, dit il Senesino, Bernacchi (1685-1756), C. Broschi, dit Farinelli (1705-1782), G. Majorano, dit Caffarelli (1710-1783)..., étaient non seulement des interprètes, mais aussi, dans une certaine mesure, des créateurs. Il faut donc tenir compte de leur apport pour juger d’une musique qui marqua l’apogée du bel canto, mais dont seuls les canevas nous ont été conservés. En Allemagne, J.-S. Bach et G. F. Händel usèrent du bel canto, le premier avec beaucoup moins de désinvolture que les Italiens, en respectant scrupuleusement la tessiture normale des voix, le second en faisant triompher l’opéra italien à Londres. En France, on demeura plus réservé. Le fossé entre le goût italien et le goût français s’était encore élargi lorsque se déclencha la « querelle des bouffons » (1752-1754). Mais la première réaction sérieuse contre le bel canto se manifesta à Paris avec l’Alceste (1776) de Gluck, compositeur allemand qui, dans sa jeunesse, avait sacrifié à l’art italien. Dans la préface de cet opéra, qu’il avait remanié à l’intention des Français, Gluck prôna le retour à un style sobre et simple. L’opéra ne devait plus être un récital pour castrat et « coloratur ». Cette réforme ne fut entendue ni en Italie ni en Allemagne. Mozart continua d’écrire pour le bel canto. En France, peu après la Révolution, se produisit un revirement assez inattendu. Le nouveau public accueillit avec enthousiasme le style italien. Parallèlement au courant français représenté par Méhul (1763-1817) et Le Sueur* s’établit un courant italien avec Giovanni Paisiello (1740-1816), Niccolo Piccinni (1728-1800), Antonio Sacchini (1730-1786), Cimarosa*, puis avec Cherubini* et Gaspare Spontini (1774-1851). Dès le début du xixe s., Paris devint le foyer du bel canto. G. Rossini*, le premier, bénéficia de cette évolution du goût. Il ne renonça pas aux artifices consacrés par l’usage, mais il en mesura les dangers et mit rapidement un frein aux excès de l’improvisation en notant avec précision chaque vocalise et chaque ornement. En ce sens, il fut un remarquable artisan d’un bel canto assagi, qui s’intégrait, en l’animant, dans l’action dramatique et mettait avec une parfaite maîtrise le texte en valeur. L’air de « la Calomnie » chanté par Basile au deuxième acte du Barbier de Séville (Rome, 1816 ; Paris, 1819) en est un remarquable exemple. Rossini fit école. Vincenzo Bellini (1801-1835) et Donizetti (1797-1848), ses émules, l’Allemand G. Meyerbeer (1791-1864), les Français Esprit Aubert (1782-1871), Louis Joseph Ferdinand Herold (1791-1838) et Halévy (1799-1862) sacrifièrent à la virtuosité vocale dans des œuvres d’un contenu musical souvent plus faible. Seul Berlioz résista aux feux d’artifice du bel canto et demeura hostile aux libertés que les chanteurs prenaient encore avec la musique. Cependant, jamais peut-être la scène lyrique ne réunit autant d’artistes remarquables : des cantatrices comme la Pasta (1797-1865), Laure Cinti-Damoreau (1801-1863), Giulia Grisi (1811-1869), la Malibran (1808-1836), Pauline Viardot (1821-1910), Marie Cornélie Falcon (1814-1897), la Sontag (1805-1854) et Wilhelmine Schröder-Devrient (1804-1860), et des chanteurs comme Duprez (1806-1896), Levasseur (1791-1871), Tamburini (1800-1876), Nourrit (1802-1839) et Rubini (1794-1854). Dans la seconde moitié du siècle, le bel canto, sensible encore dans le Faust (1859) de Ch. Gounod, déclina rapidement. Il ne persista guère que chez Verdi, mais avec moins d’abondance et de luxe qu’autrefois, et, plus tard, chez les véristes Ruggero Leoncavallo (1858-1919) et Puccini. Wagner reprit les théories de Gluck et abandonna les ornements. Loin d’être hostile au beau chant, il s’opposa seulement au style italien, auquel s’attachait maintenant un certain discrédit. Après lui, Debussy, dans Pelléas et Mélisande (1902), revint au récitatif quasi parlando. D’ailleurs, les musiciens renoncèrent pour la plupart au côté extérieur du bel canto et n’en firent plus usage que dans les circonstances exigées par la situation dramatique ou, plus rarement, par jeu. S’il n’est maintenant plus question de roulades, la virtuosité vocale reste toujours le seul moyen purement musical d’exalter le lyrisme jusqu’au sublime. On ne peut mésestimer la valeur artistique du « virtuosisme » du bel canto — qui, même aujourd’hui, a ses fanatiques — et son fructueux appoint à l’élaboration de moyens expressifs qui peuvent encore, quel que soit le mode d’écriture, séduire passagèrement le créateur.

A. V.

➙ Chant / Italie / Opéra / Opéra bouffe / Opéra-comique.

 A. Machabey, le Bel Canto (Larousse, 1948). / O. Merlin, le Chant des sirènes, le Bel Canto (Julliard, 1969).