Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bas-Empire (suite)

Certes le monde romain n’est pas touché dans son ensemble : l’Orient est plus prospère que l’Occident, et les cités syriennes sont en pleine prospérité. L’Orient est plus vendeur qu’acheteur, et il produit des articles de luxe, donc chers : les marchands syriens se répandent partout et ramènent chez eux des stocks d’or. Le phénomène de déplacement de l’or vers l’Orient s’aggrave au ve s.


Présence des Barbares

À ce déséquilibre économique entre Orient et Occident, les incursions barbares ne sont pas étrangères, car l’Occident en souffre beaucoup. Outre qu’il épuise ses forces à défendre les frontières, l’Empire cède peu à peu, et l’étranger s’infiltre. Il s’introduit dans l’armée, qui a pourtant pour tâche essentielle de lui barrer la route : après Constantin, les meilleures unités de l’armée sont constituées par des auxiliaires barbares. Les légions elles-mêmes commencent à les admettre dans leurs rangs. Les généraux barbares se multiplient à partir de la seconde moitié du ive s., d’abord sous des noms latinisés, puis sans même se cacher : Mérobaud, Arbogast, Stilicon... Du commandement, ils glissent à la politique. Seul le trône impérial leur est refusé par une tradition impérative. Ils sont aussi là dans les campagnes, qu’ils sont autorisés à coloniser : « Le Chamave laboure pour nous », observe un contemporain. Théodose a installé de cette façon les Goths en Thrace.

L’immigration pacifique est une chose, l’invasion destructrice une autre. Et les deux coexistent depuis longtemps, car les Barbares* se bousculent les uns derrière les autres. Beaucoup ont pénétré dans l’Empire en qualité de réfugiés, chassés par plus barbares qu’eux. Dès le milieu du iiie s., la barrière défensive du limes cède ici et là. Dans les années 258-269, les Alamans pénètrent en Italie, les Goths vont jusqu’à Corinthe. Chaque fois que l’on dégarnit la défense du Rhin, il se produit une invasion. Destructeurs de la culture antique, les Barbares apportent à la place leur courage, leur vigueur, leur activité, leur savoir-faire militaire. On peut déjà voir en eux de futurs maîtres.


La révolution religieuse

Les traditions ont été ébranlées par les progrès du christianisme. L’empereur Constantin s’est converti. Théodose a tenté de détruire le paganisme. Le nombre des chrétiens a dès lors crû très vite, et a contribué à faire sombrer le prestige d’institutions officielles traditionnellement liées aux rites païens. L’Église, cependant, s’accoutume à la protection du pouvoir impérial, mais sans se lier à son sort, sans vouloir le suivre dans sa chute : elle « reste immobile, les flots l’agitent sans l’ébranler » (saint Ambroise), et, dans les Barbares, certains voient surtout des âmes à convertir. La vieille aristocratie, élément majeur des réactionnaires païens, dénonce l’impiété des chrétiens, qui, en attirant la colère des dieux, provoque tous les maux de l’époque. D’autres, plus clairvoyants, incriminent les abus du pouvoir, le laisser-aller général (Ammien Marcellin), la présence des Barbares (Synésios). Face aux problèmes de l’époque, les réactionnaires présagent des catastrophes, tandis que les chrétiens (dont Eusèbe de Césarée et Orose) espèrent que le christianisme empêchera l’Empire de s’effondrer.


Autorité impériale et dirigisme

À toutes les difficultés du temps, plusieurs empereurs ont résolu de chercher des remèdes. L’initiative est essentiellement venue de l’État, ce qui fait que les réformes sont orientées dans l’intérêt de celui-ci, avant tout. L’Empire, tel qu’il se dessine désormais, n’est plus un principat, mais un dominat, d’essence autoritaire, même s’il entend être au service des hommes. (On n’ose plus parler de citoyens depuis qu’en 212 Caracalla a supprimé l’essentiel des privilèges politiques en donnant la citoyenneté à presque tout le monde.) Le progrès du pouvoir impérial est visible à la Cour, où l’empereur fait figure de despote oriental et se fait adorer, et dans la politique, dont le public se désintéresse : il n’y a pas d’élections, le sénat de Rome est devenu une sorte d’académie.

Cet empire autoritaire agit avec des moyens renforcés : il dispose d’une armée de fonctionnaires et d’une armée tout court qui en est le prolongement, car elle s’occupe beaucoup des affaires civiles. Les bureaux sont nombreux, surpeuplés, organisés militairement. Le recrutement est une affaire de vénalité et de recommandations. S’il n’y a pas de place, on crée des postes de surnuméraires pour placer les protégés. Ainsi on multiplie les inactifs, et l’ingérence de l’État dans l’économie se marque davantage. Préoccupé avant tout de ravitailler l’armée, les fonctionnaires et la plèbe urbaine, l’État produit par lui-même dans ses manufactures, et réglemente, contrôle l’activité des particuliers.

L’armée est présente partout, et sans doute moins décadente que le monde civil, grâce à l’afflux des Barbares dans ses rangs. Elle participe à la production agricole par ses soldats-paysans des abords des frontières. Elle bâtit plus que quiconque et prend part à l’édification des remparts dont s’entourent les villes. Elle joue de plus en plus le rôle de la police, puis usurpe des fonctions judiciaires. Petit à petit, elle s’attribue la collecte des impôts. Les soldats ont envahi les bureaux, tous les fonctionnaires portent l’uniforme, ce qui amène, sous Dioclétien, à reconstituer une armée véritable en séparant les combattants des autres. Les camps ressemblent à des villes ordinaires où circulent femmes et enfants, et où l’on pratique le commerce. Cette armée confortable, privilégiée, est bien rémunérée. Cependant, le recrutement en est difficile : peut-être lui manque-t-il les bénéfices de la guerre offensive ; il n’y a plus de conquêtes, plus de butin, plus d’esclaves.

Et il faut faire vivre tous ces hommes. La résultante de toute l’organisation du Bas-Empire est assez négative : c’est une fiscalité délirante. À des fonctionnaires et soldats qui tentent, avec plus ou moins d’ardeur, de maintenir l’ordre politique et économique, s’oppose une population accablée d’impôts, obsédée par la fiscalité, et qui, dans certains cas, préfère ne plus rien faire pour échapper à la charge. Ce sont les administrateurs municipaux, les décurions, représentants de familles fort aisées, qui sont détroussés, spoliés des richesses accumulées. Ce sont surtout les paysans, sur qui pèse l’essentiel du fardeau. Le système cadastral de la jugatio-capitatio enserre toute l’agriculture dans un filet duquel personne n’échappe. L’impôt consiste en produits agricoles ou en corvées. Cette réquisition des hommes et des produits, qui s’étend aussi aux activités artisanales et les tue à peu près complètement, entraîne une tendance à enchaîner l’homme à son travail, de peur qu’il ne cherche à esquiver les impôts. Déjà, le colon attaché à la glèbe annonce le servage médiéval. De même, l’hérédité imposée aux fonctions, de l’agriculture au décurionat, assure la permanence des levées d’impôts. Tout cela entretient le mécontentement et les jalousies sociales.