Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Barbizon (école de) (suite)

La forêt de Fontainebleau, étonnant répertoire géographique et sylvestre, compose un parfait manuel du paysagiste avec ses accidents de terrain, ses rochers, ses mares, ses étendues sableuses, sa végétation diverse. C’est aussi un des hauts lieux de la sensibilité romantique. Dès le début du siècle, l’Oberman de Senancour y a aimé « les fondrières, les collines couvertes de bruyère, les grès renversés, les rocs ruineux ». Le pouvoir poétique du lieu ne pouvait que contribuer à la qualité lyrique du réalisme des peintres de Barbizon.

Quant à l’auberge, c’est celle des Ganne, séjour attitré, à partir de 1830, des artistes. La complainte populaire des Peint’ à Ganne, datée de 1846, les décorations murales constituent autant d’éléments d’un folklore devenu légendaire, conté par les Goncourt dans Manette Salomon. Après 1848, Barbizon devient un véritable village de peintres ; Rousseau et Millet s’y installent et y mourront, associant définitivement le nom de la bourgade à l’histoire du paysage français.

Avec le Salon de 1831, où Corot présente son premier sujet bellifontain, où débutent Diaz, Dupré et Rousseau, se définit l’école du « paysage moderne », fondée sur une étude directe de la nature. Celle-ci, à vrai dire, n’est pas nouvelle, et tous les paysagistes néo-classiques, de Jean Victor Bertin (1775-1842) à Achille Etna Michallon (1796-1822), l’ont pratiquée, mais les futurs « barbizoniens », en rétrécissant la distance qui sépare l’étude directe du tableau achevé et recomposé, magnifient la première. Les influences conjuguées des écoles anglaise et hollandaise, les efforts de Georges Michel (1763-1843), puis de Paul Huet (1803-1869) expliquent ce triomphe de la peinture de plein air, contrecarrée par les jurys du Salon sous la monarchie de Juillet, mais définitivement exaltée après 1848.

Toutefois, l’évolution, du romantisme d’un Huet, dont les paysages gardent une structure classique qui évoque Claude Lorrain*, au franc naturalisme de Troyon, ne marque que la tendance générale de l’école de Barbizon. Des personnalités aussi riches que celles de Rousseau et de Millet ainsi qu’un laps de temps de plus de soixante-dix ans (les premières colonies d’artistes s’installent à Fontainebleau en 1821 et Charles Jacque, par exemple, meurt en 1894) expliquent la diversité d’un mouvement où s’exalte la liberté de chacun.

Pour Corot*, curieux de tous les paysages, la fréquentation de Fontainebleau marque surtout les années 1830-1840 ; il y trouve comme une nouvelle Italie : étendues sableuses, amoncellements rocheux construisent des paysages d’une solidité à la Poussin*, où viennent naturellement s’insérer les sujets de la Fable. Plus près de C. F. T. Caruelle d’Aligny (1798-1871) ou de François Édouard Bertin (1797-1871) que de Rousseau, Corot revivifie grâce à Barbizon la tradition classique. Au reste, peintre de la campagne plus que de la forêt, il est moins soucieux de traduire la vie profonde de la nature que la transparence atmosphérique des plans d’un paysage ; la sérénité de son œuvre échappe à la tension des peintres qui, autour de Rousseau, veulent percer le secret du motif.

Aussi bien Théodore Rousseau (Paris 1812 - Barbizon 1867) peut-il passer pour le maître du mouvement. Si le Site d’Auvergne du Salon de 1831 est encore un paysage composé, la Descente des vaches (1836, musée Mesdag de La Haye) et l’Allée de châtaigniers (1834, Louvre), peintes la première dans le Jura, la seconde en Vendée, définissent ce que sera le romantisme naturaliste du peintre. Ce qu’il veut traduire, c’est le fourmillement même de la nature, dans une ambition qui le rapproche de ses véritables maîtres, Jacob Van Ruysdael* et Hercules Seghers*. Peintre tellurique, il dépasse le réalisme du sujet, n’hésitant pas à retravailler le tableau achevé pour atteindre cette complexité de la vie que l’on ne peut enfermer dans une fugitive et ponctuelle impression. Chez Rousseau, réfugié à Barbizon après l’échec d’un projet de mariage, la nature est plus qu’un thème : elle lui permet d’échapper à l’humanité et au monde industriel en retrouvant la permanence de l’être. Ainsi, pour certains barbizoniens, la peinture de paysages peut devenir un style de vie.

De cette ambition philosophique, Millet* indique un autre aspect, montrant que l’école de Barbizon peut donner à la peinture de genre la dignité de la peinture d’histoire. Familier des lisières de la forêt plus que des sous-bois, davantage intéressé par la vie des champs, c’est-à-dire par l’homme, Millet, après 1848, vit à Barbizon l’effort des travailleurs de la terre, créant les géorgiques modernes. Sa profonde culture classique, de Michel-Ange à Poussin, et son goût pour les primitifs expliquent une qualité plastique et un sens de la forme qui font de lui un isolé parmi les habitants du village.

Autour de ces trois « phares », de nombreux peintres construisent une œuvre que l’on ne peut pas qualifier de secondaire.

Jules Dupré (Nantes 1811 - L’Isle-Adam 1889) mène une carrière un moment parallèle à celle de Rousseau, mais où Fontainebleau même ne tient pas la place essentielle ; en 1850, il se retire à L’Isle-Adam et, dans les années 1870, exécute de nombreuses marines. Plus romantique que ses pairs, d’un tempérament mélancolique, il défend les droits de la vision personnelle de l’artiste, pour lequel la nature n’est qu’un prétexte. Son amour des peintres hollandais (la Vanne du Louvre est un hommage à Meindert Hobbema) montre combien le naturalisme de Barbizon était riche de culture.

Narcisse Diaz de la Peña (Bordeaux 1807 - Menton 1878) apporte une autre dimension à l’école de Barbizon. Spécialiste de sujets espagnols et orientaux, « le Corrège français » travaille dans la forêt en 1837, aux côtés de Rousseau, et désagrège les formes pour montrer le lien de la couleur et de la lumière. Ses joailleries, malgré leur artifice et une gratuité qui rend plus sensible le sérieux des analyses de Rousseau, devaient ouvrir la voie de l’impressionnisme*, permettant ainsi une forme nouvelle de réalisme.

Seule la première partie de la carrière de Constant Troyon (Sèvres 1810 - Paris 1865) relève strictement de l’apprentissage de Barbizon. Après son voyage en Hollande, en 1847, il consacre à des sujets animaliers la plus grande part de son activité. Admirable technicien, il montre une énergie et une franchise qui revigorent la tradition hollandaise.

Avec Charles François Daubigny (Paris 1817 - id. 1878), paysagiste aussi universel que Corot, Barbizon voit s’éclaircir ses horizons. Préférant les paysages humides, où l’eau joue le principal rôle (Optevoz, près de Lyon ; l’Oise), ne cherchant pas d’effets contrastés, Daubigny assure tout naturellement le lien entre l’école de Barbizon et l’impressionnisme.

B. F.

➙ Paysage / Réalisme / Romantisme.

 Barbizon Revisited, catalogue par R. L. Herbert (Museum of Fine Arts, Boston, 1962). / M.-T. de Forges, Barbizon (Éd. du Temps, 1963). / J. Bouret, l’École de Barbizon et les paysagistes français du xixe s. (Bibl. des Arts, 1972).