Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Ballets russes (suite)

Du mécène, Diaghilev a l’instinct mais non pas la fortune, et il connaîtra de très nombreuses difficultés financières. Découvreur de talents, il s’entoure de danseurs et de chorégraphes jeunes et audacieux : Fokine, Massine, Bronislava Nijinska (sœur de Nijinski), Balanchine, Lifar. Nijinski tient une place à part parmi eux : danseur doué d’une élévation peu commune, animal instinctif, chorégraphe inégalement inspiré (l’Après-midi d’un faune et le Sacre du printemps), il aura une carrière éphémère, perdant la protection dont l’entourait Diaghilev. Celui-ci sait aussi découvrir les étoiles féminines qui figurent successivement dans sa troupe. Les sauts de Nijinski ou ceux d’Adolphe Bolm qui, dans les Danses polovtsiennes, font retrouver « la steppe élémentaire, vaste, sans limites », suscitent le même enthousiasme que les fouettés d’Anna Pavlova* ou de Tamara Karsavina. Grâce à Fokine, puis à Massine, le corps de ballet, jusque-là utilisé à des fins imprécises, joue un rôle certain dans les évolutions de masse (Petrouchka). D’autre part, la collaboration étroite qui unit le musicien, le chorégraphe et le peintre fait du ballet un spectacle complet. Le ballet n’est plus un agréable divertissement ; il n’a jamais été un art aussi expressif, rendant toute la gamme des sentiments humains.

Avec les Ballets russes commence l’ère de la danse itinérante. Jusqu’alors, les voyages effectués par les grands danseurs étaient plutôt des déplacements individuels, marqués par des séjours plus ou moins longs (parfois plusieurs années) dans une ville étrangère. Dès 1909, la notion de « tournée internationale » se fait jour. À partir de 1911, date à laquelle la troupe devient permanente avec un point d’attache d’hiver à Monte-Carlo, les Ballets russes connaissent les grands périples après avoir créé leurs nouvelles productions à Paris.

Le public se détourne pourtant des Ballets russes. Diaghilev commet des erreurs de jugement, fait des concessions sur le plan musical pour tenter de plaire à tous. Il modifie aussi ses équipes, fait appel à d’autres peintres, à d’autres musiciens. Bientôt, la troupe n’a de russe que le nom, et connaît l’instabilité et dans ses œuvres et dans ses projets.

Fatigué, épuisé, Diaghilev meurt en 1929, laissant à la danse un héritage d’une valeur inestimable. Les Ballets russes de Monte-Carlo, créés en 1932, que dirigent le colonel W. de Basil (1888-1951) et René Blum (1878-1942), tenteront de continuer son œuvre jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

H. H.


Les Ballets russes et la peinture

L’intérêt manifesté par Diaghilev pour la peinture, quinze ans avant la création des Ballets russes, explique que ceux-ci aient largement bénéficié du concours des artistes contemporains, dont la responsabilité dans les succès rencontrés est indéniable.

Dans un premier temps (1909-1914), c’est en s’appuyant sur les artistes et décorateurs issus des milieux décadents et symbolistes russes du Monde de l’art (v. U. R. S. S., art), de la Rose bleue et de la Toison d’or, avec lesquels il était intimement lié, que Diaghilev parvint à une première révolution du décor de ballet. Il s’agit d’artistes mineurs, mais d’une grande sensibilité, tant aux perversions linéaires issues de l’Art* nouveau qu’aux fanfares colorées autorisées par l’impressionnisme ; les plus notables sont Léon Bakst (1866-1924), Alexandre Benois (1870-1960), Mstislav Doboujinski (1875-1958) et Nikolaï Roerich (ou Rerikh) [1874-1947], Bakst, sans doute le plus inspiré de tous, éblouira Paris en 1910 avec son éclatante Schéhérazade, où l’on a vu parfois une conquête du fauvisme.

Les fastes orientaux, grecs ou Louis XV de ces premiers ballets finissant néanmoins par lasser, c’est au folklore russe qu’est demandée une solution de rechange. Alors, dès 1914, entrent en jeu Natalia Gontcharova et Mikhaïl Larionov*, qui, s’ils sont profondément imprégnés de l’art populaire russe, sont aussi parfaitement informés du cubisme, du futurisme et des débuts de l’art abstrait. Par leur intermédiaire s’effectue le passage des décorateurs mondains aux artistes d’avant-garde, conversion retentissante dont l’année 1917, avec le Picasso* de Parade et le Balla de Feu d’artifice, sera le théâtre. Avec un louable éclectisme, Diaghilev n’ignorera aucune des tendances contemporaines du fauvisme (Derain*, Matisse*), du cubisme* (Picasso, Braque, Gris, Laurens), du futurisme* (Balla, Depero), de la peinture métaphysique (De* Chirico), du surréalisme (Ernst*, Miró*) et du constructivisme (Gabo et Pevsner*, Georges Jakoulov [ou Iakoulov]), ni des isolés comme André Bauchant, Marie Laurencin, Rouault*, Léopold Survage ou Utrillo*. Si toutes ces collaborations ne se soldèrent pas par une réussite, les spectacles de ballets et le théâtre en général en reçurent une profitable leçon d’audace. On notera en particulier que le Feu d’artifice de Balla, comme la Chatte de Gabo et Pevsner (1927) et le Pas d’acier de Jakoulov (1927) participent de l’art cinétique, et que les projections cinématographiques seront utilisées pour Ode (1928). Mais il sera reproché aux Ballets russes d’avoir, ce faisant, réduit les héros de l’avant-garde au rôle d’amuseurs de la bonne société.

J. P.


Les Ballets russes et la musique

L’activité proprement musicale de Serge de Diaghilev dans le cadre des Ballets russes entre 1909 et 1929 a été considérable : d’une part, il a fait connaître et popularisé des chefs-d’œuvre nationaux qui ne s’étaient pas encore imposés en Occident (Boris Godounov et la Khovanchtchina de Moussorgski, le Prince Igor de Borodine, Rouslan et Lioudmila de Glinka. la Pskovitaine et Sadko de Rimski-Korsakov, etc.) ; d’autre part, il a su détecter les compositeurs les plus remarquables des générations montantes, leur donner leur chance et décider de leur carrière, cristallisant ainsi un des grands moments de la musique moderne en ses tendances les plus vivantes.