Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
W

Wedekind (Frank) (suite)

L’Éveil du printemps n’est pas une pièce tragique à la manière classique, mais une revue, une suite de scènes où sont présentés des adolescents, presque des enfants, tantôt dans des complications brutalement tragiques, puisqu’une fille de quatorze ans meurt — en scène — pour avoir essayé d’avorter, tantôt dans des tableaux lyriques, provocants lorsqu’il s’agit des garçons entre eux, romantiques et sensuels pour les amoureux : « Tout est si beau. Les montagnes rougeoient ; les grappes mûres sont à portée de nos lèvres, et le vent du soir caresse les rochers comme le frôlement enjoué d’un jeune chat » (Hänschen, dans l’Éveil du printemps). À l’autre bord, la « bourgeoisie », représentée par des parents qui ne voient rien, des maîtres qui parlent trop pour voir quoi que ce soit : figures figées et insistantes, qu’on n’appelait pas encore « répressive ». La fin de la pièce suscite une figure masquée, allégorie de la vie.

Tout dans cette pièce, comme dans le théâtre de Wedekind en général, est dans le dialogue, avec des discussions violemment contrastées, des répliques lancées sans trop chercher à se convaincre, sorties d’un rêve ou bien d’une méthode. Chacun, dans son registre, garde une attitude arrêtée. Rares sont ceux qui pourraient évoluer. La plupart font l’effet de rôles de composition, comme des abstractions réalisées. La première pièce de Wedekind, publiée en 1889, portait un sous-titre révélateur : « Grande Farce avec des caractères tragi-comiques originaux ».

La figure la plus connue de ce théâtre est une femme, celle qui domine la pièce (tragédie) intitulée l’Esprit de la terre (Der Erdgeist, 1895). Elle s’appelle Lulu ; elle incarne une féminité dévorante, qui tyrannise les mâles. Lulu, en effet, liée successivement à trois hommes, les « liquide » l’un après l’autre, comme Horace avait fait des Curiaces, dans une autre tragédie : le vieux docteur Goll meurt le premier, d’apoplexie, ce que son âge pourrait expliquer ; le peintre Schwarz, qui lui succède, se tranche la gorge ; le troisième meurt d’une balle de revolver, tirée par Lulu elle-même. Le crescendo ne pouvait guère aller au-delà et il ôte à la pièce tout caractère réaliste. Lulu, tout juste encore humaine, vit comme une Barbe-Bleue femme, dans un univers tragi-comique, peuplé de marionnettes et d’ombres, chacune figurant une variété de la « bourgeoisie », c’est-à-dire de l’existence conventionnelle. En 1903, la seconde édition de la même pièce s’intitulait Lulu, poème dramatique en deux parties. Première partie : l’Esprit de la terre. La parodie de Goethe est sensible dès le titre qui est repris de Faust, et le personnage de Lulu veut être une modernisation de l’éternel féminin, à qui revient, chez Goethe, le dernier mot de la tragédie. Modernisation romantique, car Lulu rappelle les « esprits élémentaires », aimés par Clemens Brentano, H. Heine* et Richard Wagner* ; modernisation déjà freudienne, car tout se passe dans un univers de pulsions et de discours compensatoires.

Dans le registre masculin, le pendant de Lulu est le Marquis de Keith, (Der Marquis von Keith), dont il existe deux versions, l’une de 1901, l’autre de 1907. Lui est fait de calculs froidement rationnels et il promène un sourire méphistophélique dans le monde des affaires où il opère. On cite volontiers sa maxime : « Parler de péché est une façon grandiloquente de parler d’une mauve affaire. » Mais, dans l’univers de Wedekind, le mâle, plus calculé, montre moins de détermination que la femme. Au bout du compte, en effet, Keith, quand il est pris à son propre jeu, est sur le point de tourner vers lui le canon de son revolver, mais il se ravise, fait la pirouette et demeure dans la vie, qui est, dit-il, « comme un toboggan ». Il compte y faire encore quelques glissades. Si Lulu appelait la comparaison avec Freud, Keith est l’immoraliste parodié, avec une désinvolture qui lui donne un air « fin de siècle ».

Dans les œuvres complètes de Wedekind (9 volumes, 1912-1921), il y a aussi des poèmes et des nouvelles, qui ont eu du succès, mais surtout une longue série de pièces, dont les plus connues sont : la Boîte de Pandore (Die Büchse der Pandora, 1904, puis 1906), où Pandore incarne l’amour, avec tout ce qu’il apporte aux humains ; la Danse macabre (Totentanz 1906) ; la Censure (Die Zensur 1908) ; la Mort et le Diable (Tod und Teufel, 1909) ; le Roi Nicolo (König Nicolo) ou Ainsi va la vie (So ist das Leben, 1911). D’autres pièces évoquent des figures de légende : Till Eulenspiegel (1916), Herakles (1917) et même, en 1916, un Bismarck, assez peu historique.

Vivant de spectacles, vivant sa propre vie comme un spectacle, Wedekind a tiré de l’oubli des auteurs comme Lenz*, qu’il mit au programme du cabaret des Onze Bourreaux en 1901. Il a fait resurgir dans le théâtre « post-schillérien », puis naturaliste une forme de discours, des procédés et des émotions venus de plus loin, qui renouent avec des auteurs comme Büchner*. Il a mêlé dans ses pièces le récitatif, le dialogue cru du cabaret pour faire un théâtre obscur à force d’hyperlucidité, qui brouille à vouloir démasquer, qui vit d’abstractions et de contrastes.

P. G.

Wedgwood (Josiah)

Céramiste anglais (Burslem, Staffordshire, 1730 - Etruria, près de Burslem, 1795).


La faïence fine, qui fit, à la fin du xviiie s., une remarquable fortune, est la création du maître céramiste Josiah Wedgwood. Celui-ci exerçait la profession de potier, imprimant au pied le mouvement du tour, quand, à la suite d’un accident, il subit l’amputation d’une jambe. Il se fit émailleur et fabriqua des manches de couteaux jaspés que mirent en vogue les couteliers de Sheffield et de Birmingham. Le succès lui permit de fonder en 1760 un atelier de céramique produisant des pièces de goût rocaille. Mais déjà le classicisme palladien, introduit dans l’île par l’architecte Christopher Wren* et le critique Horace Walpole, éclipsait le formulaire dérivé de Juste Aurèle Meissonnier. Wedgwood était entreprenant. Dès 1762, il organisait à Brick House une manufacture où s’élabora la poterie cream-coloured, que la reine Charlotte mit en vogue en commandant au maître un service de table.