Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Verdun (suite)

C’est pourtant de ce même jour que date la première réaction capitale du commandement français. Castelnau*, adjoint de Joffre, est, en effet, arrivé à Verdun. Il décide aussitôt d’accélérer l’envoi de renforts sur la rive droite, qui sera tenue coûte que coûte, de dissoudre la région fortifiée de Verdun et de confier la défense de la place sur les deux rives de la Meuse à une nouvelle IIe armée, dont le général Pétain* prend le commandement le 26 février. Dès lors, tout va changer chez les Français, où Pétain s’affirme comme un chef et un organisateur de très grande classe, que secondent de remarquables commandants de corps comme Bazelaire (7e C. A.), M. Balfourier (20e C. A.), H. M. Berthelot (32e C. A.), L. Guillaumat (1er C. A.), P. A. M. Maistre (21e C. A.), L. E. de Maudhuy (15e C. A.), Nivelle* (3e C. A.), Mangin* (11e C. A.)... Pourtant, l’ennemi ne relâche pas son effort : dès le 6 mars, il étend son attaque sur la rive gauche à la côte de l’Oie, à Avocourt, à la Cote 304 et au Mort-Homme. Les 9 et 10 avril, une poussée d’ensemble sur les deux rives est maîtrisée par les Français de Pétain, qui, le soir du 9, a lancé son fameux ordre du jour : « Courage, on les aura ! » Le 1er mai, Pétain, nommé commandant du groupe d’armées du Centre, est remplacé à la tête de la IIe armée par Nivelle, tandis que se développe jusqu’au 25 août la véritable bataille d’usure. L’ensemble du front est soumis à un pilonnage incessant, qui impose aux combattants une vie d’enfer. En mai, l’ennemi prend pied sur la Cote 304 et le Mort-Homme, et, le 7 juin, le fort de Vaux tombe, héroïquement défendu par le commandant Sylvain Raynal (1867-1939). Par deux fois, le 23 juin et le 11 juillet, les Allemands, précédés d’un déluge d’obus asphyxiants, se ruent sur les dernières positions, qui, à Thiaumont, à Froideterre et à La Chapelle-Sainte-Fine, couvrent à 3 km la ville de Verdun. Mais leurs ultimes assauts sont bloqués les 11 et 12 juillet dans les ruines du fort de Souville, défendues par une compagnie du 7e R. I. aux ordres du lieutenant Kleber Dupuy (1892-1966), et le 1er août dans la région du Chênois. Le 1er juillet, Joffre avait réussi à déclencher l’offensive des Britanniques de Haig* et des Français de Foch* sur la Somme, qui contraint Falkenhayn à ralentir son effort sur Verdun. Dès lors et bien que les combats continuent avec acharnement, la partie est perdue pour les Allemands, dont l’opinion publique, naguère si enthousiaste, condamne l’entreprise et son auteur : le 29 août, Falkenhayn est remplacé à la tête de la direction de guerre par l’équipe Hindenburg*-Ludendorff*, qui, dès le 2 septembre, décide d’arrêter définitivement toute offensive spectaculaire sur le front de Verdun. Quinze jours plus tôt, Mangin qui, à la tête du groupement D, commande en fait toute la rive droite de la Meuse, avait repris l’initiative : les 17 et 18 août, le régiment d’infanterie coloniale du Maroc avait reconquis les ruines de Fleury-devant-Douaumont. Après un mois de septembre mouvementé, marqué notamment, le 4, par la grave explosion d’un dépôt de fusées qui fit plus de 500 morts dans le tunnel de Tavannes, Nivelle ordonne à Mangin de passer à la contre-offensive. Le 24 octobre, précédées par un déluge d’artillerie lourde, trois divisions s’élancent à l’assaut et atteignent Douaumont. Vaux, évacué par les Allemands, est aussitôt réoccupé par les Français le 3 novembre 1916. Le 15 décembre, cette victoire est complétée par une nouvelle contre-offensive conduite par huit divisions sur un front de 10 km : elle portera les Français, maîtres de tous leurs objectifs avec des pertes minimes, sur la ligne Louvemont-Bezonvaux-Hardaumont.

« Pour la première fois, note alors le Kronprinz avec franchise, j’eus conscience d’avoir perdu une grande bataille. » Huit mois plus tard, Pétain, devenu commandant en chef, relance une puissante offensive sur les deux rives de la Meuse. Conduite par quatre corps d’armée de Guillaumat, elle reconquiert, du 20 au 25 août 1917, la Cote 304, le Mort-Homme, la côte de l’Oie et Samogneux, rétablissant à peu près le front du 21 février 1916.

P. D.

➙ Guerre mondiale (Première) / Mangin / Nivelle / Pétain.

 W. Beumelburg, Die Gruppe Bosemüller (Oldenburg, 1930 ; trad. fr. Combattants allemands à Verdun, Payot, 1934). / H. Colin, le Fort de Souville. L’heure suprême à Verdun (Payot, 1938). / J. H. Lefebvre, Verdun, la plus grande bataille de l’histoire (Durassié, 1960). / G. Blond, Verdun (Presses de la Cité, 1961). / A. Horne, The Price of Glory : Verdun 1916 (Londres et New York, 1962 ; trad. fr. Verdun, le prix de la gloire, Presses de la Cité, 1964).

La Voie sacrée

En dehors d’un chemin de fer à voie étroite (dit le « petit Meusien »), les voies ferrées desservant Verdun étant inutilisables, il fallut, pour la première fois, alimenter la bataille par la route. La seule dont disposait la IIe armée était celle de Bar-le-Duc à Verdun (75 km) par Souilly, où Pétain avait installé son quartier général. Elle absorbera jour et nuit un trafic d’une intensité incroyable.

De mars à juin, les 3 500 camions du commandant Doumenc (1880-1948) transporteront en moyenne chaque semaine jusqu’à Regret 90 000 hommes et 50 000 t de matériel. À ces camions s’ajouteront en outre 800 véhicules sanitaires, 200 autobus de ravitaillement de viande fraîche et 2 000 autos de liaison, si bien qu’aux moments de crise le débit de la Voie sacrée atteindra un véhicule toutes les quatorze secondes. En retour, pendant la bataille, 260 000 blessés seront conduits du front aux hôpitaux de campagne et aux trains sanitaires à Bar-le-Duc.

Pour l’ensemble de la bataille de Verdun, la IIe armée organisa 115 montées de divisions en lignes, soit en moyenne une division tous les deux jours. L’effectif de ses rationnaires s’éleva parfois jusqu’à 600 000 hommes ; 73 divisions (soit les trois quarts de l’armée française) furent engagées à Verdun : 43 une seule fois, 23 deux fois, 4 trois fois et 1 six fois.