Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Auguste (suite)

Dès 25 av. J.-C., il choisit son neveu (le fils de sa sœur Octavie), le jeune M. Claudius Marcellus ; il le maria à sa fille Julie. Mais, dans le même temps, il avait donné des pouvoirs étendus à Agrippa en Orient, le plaçant déjà dans une position prééminente. À la mort de Marcellus, en 23, la question resta en suspens quelque temps. Puis Auguste mit au premier plan Agrippa, à qui il fit épouser Julie, et à qui il fit conférer la puissance tribunicienne et l’imperium proconsulaire. Agrippa était étroitement associé à Auguste. De son mariage avec Julie naquirent deux fils, Caius et Lucius ; en 17, Auguste accomplit l’acte décisif qui explique toute la politique successorale ; il adopta ses petits-fils, qui devinrent ainsi ses propres fils et prirent les noms de Caius César et de Lucius César ; c’était désigner ses successeurs. Agrippa voyait son rôle réduit à celui d’intermédiaire en attendant la majorité de ses enfants, qui étaient aussi ceux du prince. Le principe essentiel était énoncé clairement ; le successeur de l’empereur ne pouvait qu’être un membre de sa famille, marquée par les dieux pour gouverner Rome dans la paix. Tout au long de l’Empire, les Romains se rattachèrent à cette idée fondamentale.

En 12 av. J.-C., Agrippa mourut. L’empereur fit appel aux fils que sa femme, Livie, avait eus d’un premier mariage, Drusus et Tibère. Ce dernier épousa Julie. Mais Drusus mourut en 9 av. J.-C., et Tibère, peu aimé du prince, s’exila volontairement à Rhodes. Caius et Lucius avaient grandi ; les honneurs s’accumulaient sur eux (consuls à vingt ans, princes de la jeunesse, responsabilités militaires). Malheureusement pour Auguste, Lucius mourut en 2 apr. J.-C., et Caius en 4. Ces décès affectèrent profondément l’empereur, qui avait placé tous ses espoirs en eux. Tout était à refaire.

Auguste adopta alors le fils posthume d’Agrippa, appelé, de ce fait, Agrippa Postumus ; mais il présentait des symptômes de débilité mentale. Il adopta en même temps Tibère, et pour plus de précautions, l’obligea à adopter Germanicus, le fils de son frère Drusus. Tibère devait conserver la puissance tribunicienne et l’imperium proconsulaire jusqu’à la mort d’Auguste, guerroyant là où les nécessités le demandaient. En 7, Auguste révoqua l’adoption d’Agrippa Postumus. Rien ne pouvait plus empêcher Tibère de devenir empereur. Le 19 août 14, à soixante-dix-sept ans, Auguste meurt à Nola, en Campanie. Dans son testament, il instituait Livie et Tibère comme héritiers de premier rang. Tibère refusa le pouvoir, y renonça provisoirement (comme Octave en 27) ; mais le sénat et le peuple lui donnèrent l’investiture.


Conclusion

Le règne d’Auguste est une étape décisive dans l’histoire de Rome. Décisive parce que l’empereur a su établir la paix à l’intérieur, parce que chacun est délivré des angoisses du lendemain. Décisive parce qu’Auguste a su éviter l’écueil qu’aurait constitué la création d’un nouveau régime ; son adresse politique et son intelligente vision de l’avenir lui ont permis d’infléchir insensiblement, mais sans retour possible en arrière, les vieilles institutions de la république ; il a su créer sans supprimer ; un peuple dont le respect pour le passé ne s’était jamais démenti ne pouvait qu’apprécier. Décisive parce qu’il a su rendre leur stabilité à la société et à la religion ; l’ordre moral qu’il a voulu créer n’a pas eu toute la résonance possible, mais il a heureusement tranché sur les abus des décennies précédentes. Décisive parce que la ville s’est transformée et que l’élan a été donné pour de nouveaux aménagements. Décisive enfin parce que l’Empire a trouvé ses limites naturelles.

Un monument exprime à l’évidence ces réussites : l’Ara Pacis. Cet autel de la Paix, construction monumentale consacrée sur le champ de Mars en 9 av. J.-C., rassemble dans ses reliefs tout l’ordre et toute la quiétude qu’Auguste a voulu créer : la Terre nourricière avec Romulus et Remus allaités par la Louve sous la protection de Mars, Énée et les pénates de Troie sur le sol italien, le long cortège de la famille impériale et celui des sénateurs, en corps, venus affirmer leur foi dans la protection des dieux sur Rome par l’entremise d’Auguste.

Auguste a su utiliser les tendances psychologiques et les inclinations mentales de ses concitoyens. Comment ne pas être étonné devant les remarquables coïncidences entre les idées exprimées par toutes les écoles littéraires et la politique voulue par le prince ? À tel point qu’il semble que les écrivains n’ont été que des propagandistes. En réalité, si Virgile et Tite-Live remettent en honneur la tradition, donnent en exemple les vertus des ancêtres, exaltent Rome et ses fondateurs, si Horace et Ovide participent par leurs œuvres au renouveau religieux, c’est par pure conviction et sans que Mécène, qui aimait à s’en entourer, ait eu à les pousser dans cette voie. Le prince a su comprendre et saisir les forces complexes et spontanées qui animaient son époque, et dont la réunion fit le « siècle d’Auguste ».

Et pourtant Auguste ne fut pas un homme heureux. Il avait souffert de n’être qu’un médiocre soldat et de ne devoir ses victoires qu’à ses loyaux compagnons. Il souffrit toute sa vie de graves maux physiques qui le conduisirent parfois au seuil de la mort. Il eut tout le temps la hantise de ne pouvoir accomplir une œuvre, qu’il ne jugea jamais suffisamment affirmée. Ses dernières années furent empreintes de tristesse, car il vit disparaître tous ceux qu’il aimait, et aucun enfant n’égayait plus sa modeste maison du Palatin ; sa tristesse était accentuée par les écarts de conduite de sa fille Julie, qu’il fut obligé de reléguer dans l’île de Pandataria. Sa seule consolation fut d’avoir auprès de lui, jusqu’au dernier jour, sa femme Livie, qu’il avait épousée en 38 et qu’il aima profondément pour sa discrétion et sa fidélité.

J.-P. M.

➙ César / Cléopâtre / Rome.