Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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sans-culottes (suite)

Enfin, dans la pensée des sans-culottes, l’organisation de l’instruction permettra de réaliser l’égalité des jouissances. Un orateur de la section des Amis de la patrie dénonce, le 16 juin 1793, « l’ignorance et le fanatisme qui détruisent quatre années de combats et de sacrifices », alors que « l’instruction et les lumières dissiperaient les préjugés et feraient chérir une révolution qui ne peut trouver de base indestructible que dans la vertu ». Il insiste sur la « nécessité de procurer à la portion indigente du peuple tous les moyens d’instruction » et demande la création d’écoles primaires.

La loi doit traduire les exigences des sans-culottes. La souveraineté réside dans le peuple, et la loi est faite par lui ou n’est valable que si elle est sanctionnée par lui. De ce principe dérive la pratique du gouvernement direct.

Les sans-culottes participent à la vie politique au sein d’assemblées qui sont celles des sections et des sociétés populaires, ou clubs. Les sections sont d’abord des assemblées électorales. Mais, bientôt déclarées permanentes, elles vont devenir des lieux de réunion, d’information et de discussion : leur action aboutira à des pétitions ou à une pression physique sur la Convention*. Dans les assemblées générales des citoyens de la section, dont sont éliminées les femmes, les membres des sociétés populaires interviennent activement. Ces sociétés se réunissent trois ou quatre fois par décade. Les séances peuvent être quotidiennes si la nécessité s’en fait sentir. Elles ont lieu en fin de journée, à 6 heures en hiver, à 7 heures en été, dans un local aux murs décorés de drapeaux tricolores, du bonnet phrygien et des bustes des martyrs de la Liberté, et sur lesquels sont inscrites des devises telles que : « La République ou la mort ! », « Unité et indivisibilité de la République ! » Les citoyens étant assemblés, on lit la correspondance des sociétés amies, les journaux patriotes et les discours prononcés à la Convention. On y voit des enfants réciter les textes de la Déclaration des droits de l’homme de 1793 ou des passages de la Constitution. Chaque citoyen est invité à présenter son opinion sur une question d’actualité ; un débat libre et animé suit chaque intervention, puis on passe au vote. Ce dernier se fait à main levée ou par acclamation. On ignore le secret du vote, car le bon citoyen n’a pas, au contraire de l’intrigant ou du manœuvrier, à se cacher de ses frères. Cette fraternité exige l’unanimité, la divergence étant trahison ou faiblesse.

C’est aussi dans ces assemblées que le sans-culotte exerce son droit de contrôle sur les administrateurs élus ou même les Conventionnels. Les députés ne sont que des mandants du peuple et sont à tout moment responsables devant lui et révocables par lui. Quand sa souveraineté est violée, le peuple a le droit à l’insurrection : il doit se ressaisir de tous les pouvoirs et se faire justice.

Cette conception politique d’une démocratie directe s’opposera à celle de la bourgeoisie jacobine et aux nécessités nées de la guerre : celles d’un gouvernement de comités restreints et secrets.

La domination des sans-culottes n’assure pas d’un coup celle de la Montagne. Du 2 juin 1793, où la Montagne élimine grâce à eux les Girondins*, au mois de juillet 1793, on assiste à une lutte continuelle, à l’intérieur des sections de Paris, entre sans-culottes et modérés, partisans de l’apaisement politique et opposés à la réglementation.

De juillet à septembre, la pression sans-culotte met « à l’ordre du jour » la Terreur* : l’agitation de juillet débouche sur la levée en masse ; la journée du 4 septembre, sur la loi des suspects du 17 septembre. Une nouvelle poussée populaire dont les sans-culottes sont les instigateurs conduit à la proclamation du maximum général (29 sept.).

D’octobre 1793 à pluviôse an II (janv. 1794), la déchristianisation se développe ; elle est d’abord le fait d’éléments étrangers à la sans-culotterie, mais elle est acceptée par celle-ci, car le catholicisme apparaît comme l’un des mobiles de la contre-révolution. C’est alors que s’organise la dictature jacobine. Pour vaincre, elle est obligée de mettre au pas la sans-culotterie. À l’hiver de l’an II, celle-ci entre en crise. Elle soutient un gouvernement qui ne résout pas le problème social ; malgré la taxation et les réquisitions, la vie est chère. La crise se double d’un malaise politique : les premiers freins sont mis à l’action des masses. Les « exagérés », appuyés sur le club des Cordeliers et sur le Père Duchesne d’Hébert, exploitent le mécontentement. Pour garder l’audience des masses, le gouvernement prend les décrets de Ventôse, puis fait arrêter les chefs des exagérés, dont la condamnation à mort stupéfie les sans-culottes. Certains d’entre eux n’acceptent pas le loyalisme aveugle qu’exige le gouvernement et contestent les épurations dont leur élite est l’objet. Lorsque, en Thermidor, la faction des dirigeants corrompus abattra les robespierristes, bien des sections resteront neutres. Mais la dégénérescence du mouvement sans-culotte n’est pas le fait seulement de causes externes : elle est due aussi à des contradictions internes, à la bureaucratisation, à la fatigue ou à la lassitude des meilleurs éléments.

La sans-culotterie a donné à la bourgeoisie révolutionnaire une aide puissante pour faire table rase de l’Ancien Régime et établir un nouvel ordre dont les petits propriétaires et les salariés qui la formaient allaient être les premières victimes. Mais elle ne disparaît pas de notre histoire avec la Révolution. Le xixe s. français maintiendra encore pour un temps ce groupe social et sera imprégné de son idéal, dont les recherches contemporaines soulignent la persistance dans les révolutions de 1848 et de 1870. Certains historiens voient même dans les débats actuels de notre société la résonance des voix entendues dans les assemblées de sections et dans les clubs en l’an II de la République.

J.-P. B.

➙ Convention nationale / Révolution française / Terreur.