Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Assyrie (suite)

Les grandes inquiétudes humaines

Ces réflexions générales peuvent nous permettre de commenter plus brièvement les autres mythes et épopées, qui présentent d’ailleurs quelques grands thèmes communs.

Celui du Déluge universel se retrouvait, par exemple, dans un autre important poème ancien, le Mythe d’Atrahasis, dont s’étaient inspirés les rédacteurs du Gilgamesh et qui traitait aussi de la création de l’homme. Ce mythe de la Genèse avait trouvé, quant à lui, sa principale expression dans un poème, en sept chants, inspiré par le clergé de Babylone et rédigé, vers la fin du IIe millénaire, dans une langue littéraire particulière, à recherches archaïsantes. Ce « poème babylonien de la Création » s’ouvrait sur l’évocation du Chaos primitif, immense masse liquide, d’où naquirent des générations successives de dieux. Entre les plus anciennes, attachées à l’immobilité, au silence et à l’obscurité de l’univers primordial, et les plus récentes, aspirant au mouvement, au bruit et à la lumière, le conflit était inévitable. Après plusieurs péripéties, la victoire revint au champion des jeunes dieux, Mardouk, le dieu de Babylone, qui, triomphant, créa l’univers ordonné et, à partir de l’argile et du sang d’un dieu sacrifié, imagina la création de l’homme. Tous les dieux du panthéon reconnurent alors sa suprématie.

D’autres mythes illustrent d’autres préoccupations religieuses. L’un conte comment l’oiseau des tempêtes Anzou réussit, pour un temps, à s’emparer de tous les pouvoirs divins, jusqu’à ce que le dieu Ninourta, l’ayant vaincu, parvînt à rétablir dans l’univers l’harmonie des normes perturbées. De cette méditation épique sur la toute-puissance divine, on peut rapprocher une autre composition poétique, qui a pour protagoniste le dieu de la Peste Era. Sous l’affabulation mythique, le poète s’interroge en fait sur les rapports entre l’essence de la divinité et l’aspect visible de son image, ainsi que sur l’inexplicable incertitude de la protection divine. Cette œuvre, en cinq chants et écrite à l’époque kassite, a en effet pour toile de fond une période trouble de l’histoire de Babylone, qui manqua périr, malgré son caractère de ville sainte de Mardouk.

C’est au contraire à la Mort et aux Enfers que sont consacrées deux autres œuvres célèbres, dont l’une, la Descente d’Ishtar aux Enfers, est un des classiques, très tôt connu, de l’assyriologie. La déesse de l’Amour ayant été retenue sous terre par sa sœur Ereshkigal, toute procréation s’arrêta dans le monde. La vie féconde ne reprit que lorsque Ishtar recouvra sa liberté, en livrant à sa place son jeune amant Tammouz, un des dieux de la Fertilité. Un autre mythe, de près de cinq cents vers, raconte comment Nergal, qui siégeait jadis dans le ciel et dans la lumière, fut contraint d’aller partager avec Ereshkigal, son épouse et sa sœur, le peu enviable privilège de régner sur les morts.

D’autres œuvres poétiques évoquent le rêve des hommes de monter dans les cieux et d’échapper à la mort. Telle fut l’aventure, finalement décevante, qu’un poète attribue à l’ancien Sage Adapa, qui, pour avoir été contraint de briser les ailes du Vent du sud, fut cité au tribunal du Roi des dieux. De ce voyage céleste, il eût pu rapporter la vie éternelle si le dieu de la Sagesse ne l’eût fait, à son insu, refuser l’offre voilée qui lui en fut faite. Plus étoffé en ses cinq tablettes, le Mythe d’Etana relate le vol de ce roi légendaire sur les ailes d’un aigle et, plusieurs portes des cieux franchies, son retour périlleux sur la Terre, avec la « plante d’enfantement », qui lui permit d’obtenir sans doute le fils qu’il souhaitait.


Poèmes moraux

Aux éternelles questions que l’homme se pose sur son destin, les Babyloniens avaient consacré, outre ces mythes, des œuvres de caractère moral. Celles-ci, dès leur découverte, ont particulièrement intéressé les exégètes bibliques, en raison des rapports qu’ils leur trouvaient avec les parties sapientiales de l’Écriture.

L’un de ces poèmes moraux, le Juste souffrant, a d’étroites similitudes avec le Job biblique. C’est un monologue, en quatre tablettes, dans lequel un personnage, naguère honoré, se lamente sur ses infortunes imméritées. Alors qu’il fut toujours juste et pieux, sombré dans la misère et abandonné de tous, il souffre de mille maux. La miséricorde de Dieu lui fera finalement retrouver crédit, fortune et santé, mais sans plus de raisons apparemment que n’en avait eues sa déchéance.

La même notion de la transcendance des voies de Dieu est reprise, sous forme de dialogue, dans une œuvre forte et belle, qu’on a pu appeler la Théodicée babylonienne. Deux amis lettrés y discutent, en strophes alternées, sur la condition humaine et sur la part de Dieu dans le bonheur et le malheur des hommes.

Ce genre littéraire du dialogue est inspiré d’anciennes traditions sumériennes, où, dans des « débats » contradictoires, des animaux et des personnages symboliques disputaient de leurs mérites respectifs. La fable babylonienne, en faisant dialoguer entre eux le Tamaris et le Palmier, le Cheval et le Bœuf ou le Renard, le Loup et le Chien, s’en inspirait directement. Mais, dans la Théodicée, cette tradition trouvait une tout autre dimension et une tout autre résonance.

Dialogue éthique, également, un autre poème, dont le titre pourrait être le Maître et son serviteur. Dans chacune des strophes, le maître appelle son valet et lui dit ce qu’il va faire, et le valet d’applaudir. Mais, le maître aussitôt se récusant, l’homme développe pour s’abstenir d’aussi bonnes raisons que celles qu’il avait données pour agir. À quoi bon vivre alors ? La conclusion n’est pas claire : profession de pessimisme, satire sociale, petite comédie de mœurs, saynète sans prétention. On en discute encore.

À propos de ces dialogues, on songe à une étonnante lacune de la littérature assyro-babylonienne. Le « jeu » ne va pas au-delà de deux personnages, et encore y devrait-on moins parler de dialogues que de monologues alternés, hormis, peut-être, le Maître et son serviteur, qui, par la vivacité de ses reparties, suggère un rudiment de mise en scène. Au-delà, nous n’avons rien qui pourrait attester l’existence d’un théâtre babylonien. Autres lacunes, la poésie amoureuse, qui fleurit pourtant si richement en d’autres milieux sémitiques, et le genre, d’ordinaire abondant, des contes, dont, pour l’instant, le seul témoignage est celui, récemment retrouvé, de ce Pauvre Homme de Nippour, qui, par trois fois, sut tirer plaisante vengeance de la cupidité du maire de sa ville.