Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rossini (Gioacchino) (suite)

Gioacchino Rossini allait émerger des années 1810-1830, peu fécondes, et assurer la relance de l’opéra italien en lui faisant subir des mutations salutaires. Familiarisé dès son enfance avec le monde du théâtre chanté par sa mère, qui a fait une petite carrière à Bologne, et avec la pratique des instruments par son père, qui joue trompette et cor, le jeune Rossini reçoit une initiation plus qu’une formation. Bien qu’il ait fréquenté le Liceo musicale de Bologne pour le contrepoint, il cultive, de son propre avis, ses dons au contact des œuvres de Haydn et de Mozart, qu’il s’est procurées chez un amateur de sa ville. Ses premiers essais connus, Il Pianto d’Armonia sulla morte d’Orfeo (1808), des sinfonia ou sonates pour deux violons, violoncelle et contrebasse destinées à un mécène, révèlent ses aptitudes exceptionnelles de mélodiste et l’aisance de son écriture instrumentale. À dix-huit ans, Rossini conduit, en qualité de « Maestro al cembalo », sa première œuvre au théâtre San Moise de Venise, La Cambiale di matrimonio (le Contrat de mariage), une farce bientôt suivie de La Scala di seta (l’Échelle de soie) en 1812. De 1813 à 1823, la vie du musicien se résume à sa production : Rossini ira de succès en triomphes, de Venise à Naples et de Rome à Milan. Brillamment inaugurée par Tancrède, cette décennie italienne, au cours de laquelle Rossini composera jusqu’à trois opéras par an, prendra fin sur l’échec de Sémiramis, échec qui décidera le jeune maître à ne plus écrire pour son pays. Avec Isabella Colbran, son interprète de prédilection et sa femme depuis 1822, Rossini se fixe en 1823 à Paris, où la direction du Théâtre-Italien lui est confiée. Il y fera représenter Il Viaggio a Reims (le Voyage à Reims) à l’occasion du sacre de Charles X, puis montera à l’Opéra de Paris le Siège de Corinthe, Moïse et le Comte Ory. La consécration absolue lui viendra avec Guillaume Tell, en août 1829.

Entre-temps, Rossini, dégagé de ses responsabilités au Théâtre-Italien, a été nommé à vie inspecteur général du chant en France. Après les troubles politiques de 1830 et l’avènement du roi-citoyen, il lui faudra engager une procédure de cinq ans pour conserver les avantages financiers fort substantiels de ce poste. En 1836, il regagne l’Italie, où il demeurera jusqu’en 1853. En 1855, il se réinstalle définitivement dans la capitale française. Rossini a-t-il redouté l’ascension spectaculaire de Bellini et de Meyerbeer et, par là même, le risque de voir sa gloire se ternir ? Guillaume Tell marque ses adieux à la scène. Après un silence de vingt ans, rompu, il est vrai, par le célèbre Stabat Mater (1832-1842), Rossini se remet à écrire. Dans ce Stabat Mater, œuvre traitée dans le style de la cantate, se mêlent, aux traditions polyphoniques que l’auteur connaît parfaitement, des formules à effets empruntées au bel canto. Aux côtés de la Petite Messe solennelle (1864) et d’œuvres vocales de circonstance (cantate pour la clôture de l’Exposition universelle de 1867) apparaissent cent quatre-vingts compositions éditées à partir de 1954 par la Fondation Rossini de Pesaro. On y aperçoit le musicien à la recherche de la formulation originale d’une sorte de « lied » italien, l’humoriste et le caricaturiste de talent, au fait des apports stylistiques de ses contemporains, dans des pièces de piano réunies sous le titre de Péchés de vieillesse (Caprice style Offenbach, Spécimen de l’Ancien Régime, Mon prélude hygiénique du matin).

Rossini a réussi à accomplir le difficile passage de l’opéra buffa traditionnel à l’opéra romantique, le Barbier de Séville et Guillaume Tell en étant les deux jalons essentiels.

Possédant le génie de la scène, une excellente connaissance de la voix et une science magistrale de l’orchestre, il eut le mérite de sentir que, pour sauvegarder l’opéra, il fallait alléger et discipliner le rôle de la voix dans l’intérêt de la vérité dramatique et enrichir par contrecoup le pouvoir de l’orchestre. Dès 1815, il notait avec précision les ornements vocaux de son opéra séria Élisabeth, reine d’Angleterre et limitait ainsi les initiatives excessives de ses interprètes. Ces surcharges de bel canto s’atténueront dans les œuvres françaises. Des voix, Rossini exige une certaine spécialisation : soprano dramatique d’agilité (Sémiramis), contralto-colorature souvent pour des rôles travestis (Arsace dans Sémiramis), baryton léger (Figaro dans le Barbier), ténor léger (Almaviva du Barbier), à qui reviennent fréquemment des cadences de virtuosité à chanter en voix de tête.

En voici un exemple (Idrène de Sémiramis, acte II) :

Si les airs et cavatines de Rossini, malgré leur qualité musicale, cèdent parfois à la mode, par contre, les petits ensembles de solistes présentent un intérêt constant par leur dynamisme. Les chœurs, généralement syllabiques, ont déjà ce rôle capital qu’ils joueront dans les opéras de Verdi.

« Il restera de moi le troisième acte d’Otello, le deuxième de Guillaume Tell et tout le Barbier de Séville », déclarait modestement Rossini. Une partie de ses œuvres a longtemps figuré à l’affiche de l’Opéra de Paris. Le Barbier a été joué en Amérique dès 1819. Les ouvertures des principaux ouvrages lyriques appartiennent désormais au grand répertoire symphonique.

Aujourd’hui, la renaissance des opéras de Rossini s’accomplit grâce à une nouvelle génération d’artistes qui ont travaillé et adapté leur voix aux méthodes et usages de l’époque. Elle permet ainsi de mieux mesurer à quel point l’univers lyrique rossinien a déterminé la grande tradition du chant italien au xixe s.

R. J.

➙ Bel canto / Opéra / Opéra bouffe / Opéra-comique.

 Stendhal, Vie de Rossini (Lévy, 1823 ; noov. éd., 1854). / L. Dauriac, Rossini (Laurens, 1905). / H. de Curzon, les Maîtres de la musique. Rossini (Alcan, 1920). / J.-L. Caussou, Gioacchino Rossini (Seghers, 1967).