Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

L’architecture demeure l’art roi ; l’ingéniosité créatrice des bâtisseurs ne sera affectée par aucune des crises externes ou internes qui, pendant plus d’un siècle — de 166 à 284 —, paraîtront annoncer la mort de l’Empire. Continuant les recherches de leurs devanciers, les architectes du iie et du iiie s., dont le plus illustre est Apollodore de Damas, maître d’œuvre de Trajan, rechercheront des formules sans cesse plus hardies pour couvrir en voûtes d’immenses surfaces. Le matériau est toujours le blocage de ciment, masqué à Rome par des parements en brique et dans les provinces par divers types de maçonnerie. Les programmes sont orientés vers l’efficacité et le confort : d’une part, les ports, les marchés (marchés de Trajan à Rome), les constructions hydrauliques, les grands immeubles de rapport et, d’autre part, les thermes, les édifices destinés aux spectacles ont la priorité. Les premiers servent le difficile équilibre économique de l’Empire, les seconds l’action psychologique qui en maintient la cohérence. L’utilisation systématique de la voûte conduit l’architecte à créer un espace artificiel clos dans lequel une lumière savamment canalisée joue sur un décor plaqué aux parois. Ces tendances se remarquent dans les grands thermes impériaux à plan symétrique, qui apparaissent sous Trajan, atteignent leur apogée à Rome avec les fondations de Caracalla (211-217) et de Dioclétien (284-305) et se multiplient par centaines dans les provinces. Notons, à ce propos, que l’impression d’uniformité qu’on éprouve en retrouvant des constructions de même type de l’Écosse à l’Euphrate est détruite par un examen plus poussé de ces monuments : par exemple, l’exploration des thermes de Mactar (Tunisie) nous révèle un type d’édifice balnéaire conforme dans ses grandes lignes au schéma « impérial », mais présentant, contrairement aux exemples déjà connus de cette famille (celui de Cluny à Paris est l’un (les mieux conservés), une façade articulée et largement ouverte de baies. Il s’agit là, cependant, d’une tentative isolée et à contre-courant, la tendance générale étant en faveur de l’espace artificiel clos. En créant le Panthéon, Hadrien transpose même cette formule dans l’architecture religieuse.

Cette recherche de l’espace clos est certainement l’une des causes de la décadence des modes d’expression artistique auxquels les Grecs avaient donné la priorité, comme la sculpture en ronde bosse. Une autre cause de cette décadence, qui s’applique également à la peinture murale, est que la force de la tradition empêchait pratiquement toute création originale dans ces domaines. Au contraire, la mosaïque connaît depuis le début du iie s. un extraordinaire développement, précisément parce qu’elle convient à merveille à la décoration de l’espace clos. Des écoles indépendantes se développent en Italie et dans les principales provinces ; toutes reviennent au décor figuré, qui, au ier s. av. et au ier s. apr. J.-C., avait été presque abandonné pour le décor géométrique ; mais, tandis que l’école italienne traite ce décor figuré en noir sur fond blanc, les écoles provinciales utilisent dès le début du iie s. une polychromie extrêmement riche. D’autres caractéristiques sont, au contraire, communes à toutes les écoles : l’abandon de l’illusionnisme pictural, les figures étant souvent traitées comme des motifs ornementaux ; la tendance à la surcharge, qui, à partir de la fin du iie s., fait multiplier et foisonner les éléments du décor, qui finissent par recouvrir entièrement le champ. On peut résumer sommairement cette évolution en disant que la mosaïque de sol, qui, au ier s., ressemblait soit à un dallage, soit à un tableau, prend de plus en plus l’aspect d’un tapis lourdement brodé.


La renaissance constantinienne et la fin de l’art romain

Les tendances que l’on vient d’analyser semblaient annoncer l’apparition d’un art fondé sur des principes entièrement différents de ceux qu’avaient formulés les Grecs. Or, on constate qu’au ive s. certaines œuvres sont caractérisées par un souci de la netteté et de l’équilibre des formes qu’il faut incontestablement qualifier de classique : il en est ainsi dans le domaine du portrait, mais aussi dans celui du relief, représenté principalement par les sarcophages, de la peinture (plafond peint du musée épiscopal de Trêves), dans celui de la mosaïque (mosaïque de chasse de Daphné-Antioche, au Louvre), ainsi que dans ceux de l’orfèvrerie et de l’illustration des manuscrits, qui connaissent alors un développement particulier. La même tendance apparaît aussi dans l’architecture, notamment celle des grandes villas seigneuriales, par exemple en Aquitaine (Montmaurin). Il s’agit d’une « Renaissance » ; le phénomène n’est pas nouveau, mais prend alors une importance spéciale, qu’explique la situation sociale : après les troubles du iiie s. se reconstitue une aristocratie riche et raffinée, qui réduit les paysans à une condition bien pire que celle qu’ils avaient connue au Haut-Empire. Le transfert, en 330, du principal centre politique de l’Empire à Constantinople* accentuera ce phénomène, les milieux anatoliens étant toujours restés plus fidèles que ceux d’Occident à la tradition hellénistique. C’est dans cette atmosphère que se produit la naissance de l’art chrétien officiel, qui diffère profondément de l’art antérieur à la paix de l’Église, d’inspiration résolument plébéienne (v. paléochrétien [art]).

Cependant, l’art plébéien, devenu l’art provincial, ne devait pas mourir ; par des voies actuellement mystérieuses, il a engendré en Occident la sculpture que nous appelons romane : non seulement la reprise de thèmes, mais la similitude des modes d’expression est incontestable. Par ce biais, l’art romain propre apparaît donc comme une des composantes essentielles de la culture artistique de l’Occident. L’architecture impériale allait, d’autre part, servir de modèle pour le décor, mais non pour les structures, à tous les constructeurs européens du xvie au xixe s. Quant à la peinture, elle a exercé une influence plus discontinue, mais féconde, au xvie s. d’abord (Raphaël s’inspire de la Maison dorée de Néron), puis au xviiie, après les premières fouilles d’Herculanum et de Pompéi.

G. Ch. P.