Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rome (suite)

Les rois étrusques

On s’accorde aujourd’hui à considérer que, vers 575 av. J.-C., Rome tomba sous la domination des Étrusques* : événement longtemps à peine soupçonné tant l’historiographie antique se refusait à avouer cette honteuse évidence. Le fait coïncide avec une évolution de la monarchie telle qu’elle est décrite : les sages législateurs font place à des rois violents et tyranniques, qui négligent les avis du sénat. Le calendrier est remanié par incorporation de fêtes étrusques, et le caractère sacré du roi s’amplifie, allant jusqu’à l’assimilation de celui-ci à Jupiter. Les attributs classiques du roi sont d’origine étrusque : licteurs qui escortent celui-ci, armés de faisceaux (verges) et d’une hache, chaise curule aux pieds en X, vêtement bariolé (peint ou brodé), sceptre et couronne. La tradition ne connaît que trois rois, Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe. L’enchaînement réel des règnes est inconnu, bien que ces souverains paraissent avoir eu une existence réelle.

Tout semble se présenter comme si la dynastie des Tarquins, originaire de la cité étrusque de Tarquinia, avait été un moment interrompue par la venue d’un aventurier arrivé de Vulci, qui aurait pratiqué une politique différente, laissé en suspens les grands travaux des Tarquins (assainissement du Forum par drainage, temple du Capitole) pour se consacrer à des questions d’ordre militaire : construction du rempart, réorganisation de l’armée des citoyens. La constitution servienne distribue les droits politiques et les rôles militaires en fonction du capital (cens) possédé par les intéressés ; cela, qui fait songer à l’œuvre des législateurs grecs, répond aux aspirations des patriciens, qui sont les représentants des familles les plus influentes, et débouche sur une armée bien équipée, composée de la légion des fantassins et d’une cavalerie de recrutement aristocratique. Par là même, Servius Tullius agit différemment des Tarquins, qui s’appuient sur la plèbe. L’œuvre de ces derniers fait évoluer la physionomie de la ville.


Aspects de la Rome royale

Les cabanes primitives, de forme ronde ou ovale, puis de plus en plus, rectangulaire et au toit conique, s’appuyaient sur des pieux fichés en terre. Les parois combinaient le jonc ou la paille à l’argile. La porte était pourvue d’une grosse serrure. Le mobilier se réduisait à l’époque la plus reculée à une céramique noire de fabrication locale, à quelques outils de bronze et à quelques objets d’importation. À cela s’ajoutèrent ensuite des fourneaux de terre cuite, des meules à bras, des vases d’origine grecque, des instruments de fer, et, dès le viie s. av. J.-C., on utilisa l’écriture, dont des reliques en caractères grecs nous ont conservé les mots latins les plus archaïques. Les agglomérations s’entouraient de ce qui était plus une clôture qu’un rempart.

Sous la domination étrusque, les choses changèrent : d’une agglomération de hameaux, Rome se changea en une ville. Les vallons furent réellement occupés. L’assèchement, puis le pavage du Forum donnèrent à celui-ci déjà son aspect de place publique. On bâtit des maisons de pierre avec des toits de tuile, un cirque (le Circus Maximus), les boutiques du Forum, des temples ornés de terres cuites à la mode étrusque, dont celui de la Fortune, retrouvé au Forum boarium, et celui de Jupiter, Junon et Minerve, au Capitole. Cette apparence urbaine se complétait par l’afflux de population d’origine étrusque : commerçants, techniciens, qui participaient à ces grands travaux. Une petite rue, le Vicus tuscus, garda dans son nom le souvenir de ces Toscans, dont la venue, si elle contribua à l’alphabétisation de Rome, ne détrôna pas la langue latine.


Fondation de la République

À la date traditionnelle de 509 av. J.-C., les Romains chassent les rois et fondent leur république. Derrière cette donnée apparemment simple se cachent divers bouleversements dont la coïncidence chronologique n’est pas évidente. Il apparaît que la fin de la domination étrusque se situerait plutôt vers 475 av. J.-C. Cela n’empêcherait pas la monarchie d’avoir été, éventuellement, renversée plus tôt au profit de magistrats élus : un certain nombre des plus anciens consuls portent des noms étrusques. Sur la révolte même, on est réduit à des hypothèses : révolte latine, où Rome aurait pris une part modeste ; intervention de montagnards sabins ; révolte contre Rome des autres Latins, qui auraient subi la domination de la Rome étrusque. Les traces archéologiques de la culture étrusque à Rome disparaissent vers 480-460, mais c’est peut-être un indice de déclin et non de départ des maîtres étrusques. L’annalistique romaine aurait conservé la date de 509 parce que c’était celle de la dédicace du temple du Capitole et qu’il s’agissait de le désolidariser du souvenir de la présence étrusque.


L’hypercritique

On voit combien les historiens primitifs de Rome, les annalistes, dont l’activité ne remonte qu’au iiie s. av. J.-C., ont été enclins à enjoliver un passé qu’ils ne connaissaient, en outre, que très peu. Cela donne aux historiens d’aujourd’hui la tentation de rejeter en bloc, comme fantaisiste, tout le début de l’histoire romaine : de cet hypercritique, l’Italien Ettore Pais (1856-1939) a été le maître. L’histoire primitive semble falsifiée à l’instigation des grandes familles, qui se sont donné d’illustres ancêtres. Des événements tardifs sont présentés comme s’ils avaient eu lieu deux fois, dont une fois dans les temps primitifs (duplication). En présence de ces données trafiquées, l’hypercritique a fait table rase. Depuis, on a repris les écrits anciens, sans défiance excessive, mais sans crédulité, pour tâcher d’apercevoir une réalité possible. La tâche est ardue, mais elle trouve un soutien dans l’archéologie : les cabanes découvertes sur le Palatin rendent plausible la fondation de Romulus. Une autre manière d’interpréter les récits a surgi, plus audacieuse, plus neuve, celle de la mythologie comparée : G. Dumézil traite l’histoire romaine comme une mythologie racontée sur le mode historique. Cette interprétation a, elle aussi, beaucoup de vraisemblance, du moins dans nombre de cas. La période de 500 à 300 av. J.-C. apparaît, dans ces conditions, pleine d’incertitudes.