Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Renoir (Jean) (suite)

La vie est à nous (1936), produit pour la propagande électorale du parti communiste, est l’un des premiers films militants français ; il est rempli de documents d’actualités et de discours politiques auxquels se mêlent des scènes jouées. À sa sortie, les spectateurs qui vont le voir ne payent pas leur place, mais s’abonnent en échange au journal Ciné Liberté, spécialement créé pour la circonstance. Curieusement, la véritable carrière commerciale de La vie est à nous ne commencera qu’à la fin de 1969 et sera la conséquence probable des événements de mai 68.

Après son moyen métrage Une partie de campagne (1936), Renoir adapte Gorki (les Bas-fonds, 1936), puis réalise ce qui demeure aujourd’hui encore son œuvre la plus connue : la Grande Illusion (1937). Ce film illustre, à travers une histoire d’évasions, les souvenirs d’aviateur et de prisonnier de 1914-1918 de J. Renoir ; c’est l’œuvre de Renoir où la psychologie occupe la plus grande place. Le film, boycotté lors de sa sortie, a connu une réédition triomphale.

En 1937, le metteur en scène donne la Marseillaise, que finance une souscription de la C. G. T., et qui ressemble moins à un film à costumes qu’à une sorte de montage d’actualités sur la Révolution française, à laquelle va la sympathie du cinéaste.

Ce dernier adapte en 1938 Zola pour la seconde fois : la Bête humaine est avant tout le portrait d’une femme, de la femme, qui révèle l’actrice Simone Simon. Après cette œuvre naturaliste, Renoir tourne alors son « film maudit », la Règle du jeu (1939). Ce « drame gai » est aujourd’hui reconnu comme le chef-d’œuvre de Renoir. Cette minutieuse description des bourgeois de l’époque est accueillie par des huées avant d’être interdite en septembre 1939 par la censure militaire. Motif : la Règle du jeu est démoralisante. Démoralisante pour la classe visée par le film, parce qu’elle a confusément deviné que, sous les allures de blague entre copains qu’affiche la Règle du jeu, perce une critique acerbe du mode de vie des Français nantis, dans laquelle on peut lire, prémonitoire et fatidique, l’annonce de la défaite de 1940.

Renoir, une fois de plus déçu, part pour l’Italie, où il commence la Tosca (1940), mais l’entrée en guerre de l’Italie l’empêche de filmer plus de cinq plans. Le film sera terminé par Carl Koch. Le cinéaste revient alors à Paris, où il exécute plusieurs travaux pour le Service cinématographique des armées, puis descend dans le Midi. C’est là qu’il reçoit du metteur en scène Robert Florey une lettre l’invitant à se rendre aux États-Unis. Il s’embarque en automne 1940.

À Hollywood, engagé par la Twentieth-Century-Fox, Renoir tourne l’Étang tragique (Swamp Water, 1941). Le réalisateur définira plus tard sa période américaine comme divisée en deux parties : « Quelques essais dans les grands studios et d’autres avec des indépendants. » À Hollywood, le film provoque une (petite) révolution : c’est en effet la première fois qu’un grand studio admet l’idée qu’on puisse tourner des extérieurs en décors naturels et non pas devant des toiles peintes. Jean Renoir réalise ensuite Vivre libre (This Land is Mine, 1943), dans lequel il veut dévoiler aux Américains un visage peu connu de la France occupée. La mise en scène en est plus didactique qu’inspirée, et le film, qui étonne Hollywood, déchaînera l’hostilité à sa sortie en France.

Second film de propagande, Salut à la France (Salute to France, 1944), lui, ne provoque aucune réaction lorsqu’on le projette à Paris. Aucun commentaire, nulle allusion. Le silence. Il est cependant bien accueilli en Amérique. En 1945, Renoir tourne l’Homme du Sud (The Southerner). C’est le film de la liberté retrouvée : le cinéaste le réalise exactement comme il l’entend, dans la bonne humeur et la simplicité de ses films français d’avant guerre. Pour la première fois apparaît chez le cinéaste l’idée de Dieu. La mise en scène est hiératique d’une austérité « protestante ». Abandonnant les planteurs de coton qui lui ont d’ailleurs valu le prix du meilleur film à la Biennale de Venise 1946, Renoir évoque ensuite les gens de maisons chers à Octave Mirbeau dans le Journal d’une femme de chambre (Diary of a Chambermaid, 1946). C’est une tragédie burlesque, à la fois drôle et atroce, entièrement réalisée en studios, ce qui lui donne un caractère théâtral ridiculisant à merveille les bourgeois, dont l’auteur du roman se moquait à longueur de page. Dernier film américain de Renoir, la Femme sur la plage (The Woman on the Beach, 1946) ressemble à un film noir de Fritz Lang, avec en plus cette chaleur humaine, ce feu qui couve sous les cendres de l’apparence qui sont typiques des films de Renoir, lorsqu’il se sent libre de les tourner selon son cœur.

La pureté, la simplicité, la netteté intransigeante qu’a acquises le réalisateur, on les retrouve dans les couleurs mordorées de l’Inde quand il ramène de ce pays le Fleuve (The River, 1950). Naissance et mort s’y rencontrent en un ballet de symboles métaphysiques et de métaphores limpides qui nous révèlent, chatoyante et déchirée, l’Inde sans folklore.

Le folklore, que Renoir déteste, a été évoqué à la sortie du Carrosse d’or (1952, d’après P. Mérimée). C’est refuser d’en voir la gravité profonde. Le film est un nouvel échec, qui permet à Renoir de mettre en scène au théâtre d’Arles le Jules César de Shakespeare (1954), avant de faire sa rentrée dans les studios français avec French Cancan (1955), qui sera son dernier succès. En effet, ni Orvet, la pièce qu’il écrit et monte en 1955, ni Éléna et les hommes (1956), ni le Testament du docteur Cordelier (1959, son unique essai de fantastique) ne lui ramènent la faveur du publie. Le Déjeuner sur l’herbe (1959) et le Caporal épinglé (1962) sont mieux accueillis. Sept ans plus tard, Jean Renoir donne en quelque sorte son testament filmé dans une bande à sketches réalisée pour la télévision : le Petit Théâtre de Jean Renoir (1969) est à la fois une mise en scène et, sur scène, une mise en jeu du cinéaste, qui présente lui-même les sketches pour mieux y réfléchir.

Juvénile comme une première œuvre, ce film en couleurs splendides, insolent et serein comme tout film de Renoir, célèbre les noces du spectacle et de la vie. Y a-t-il un style Renoir ? Il y en a un : on ne le voit pas parce qu’il est en avance et se cache pudiquement derrière sa modeste perfection. Comme chez Stendhal.

M. G.