Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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poterie (suite)

La nature du matériau a ainsi conditionné toute l’évolution céramique. Sa plasticité a favorisé l’essor du tour à volant pour remplacer la tournette et permettre, dès la période hellénique, les grandes formes galbées et les profils affinés à l’outil. Sa tenue au feu a provoqué la conquête des hautes températures, reprise en d’autres domaines ; au four primitif a succédé le four « à laboratoire », qui permet la protection des pièces et un régime contrôlé, en attendant les fours à chambres d’Extrême-Orient, capables d’atteindre au « grand feu » tout en restant chauffés au bois.

La terre cuite, poreuse, ne saurait sans enduit contenir un liquide. Très tôt, on en a modelé de grandes jarres pour les grains (le pithos crétois du IIe millénaire, le « tonneau » du Grec Diogène, le dolium latin) ; mais l’amphore, utilisée surtout pour le commerce des vins, était imperméabilisée à la résine. Cette intériorité de la terre par rapport au métal ou au verre, les potiers ont tenté de la réduire par un lissage, un enduit peint ou un vernis cuit : le vernis attique est, entre tous, remarquable. Le robuste vernis rouge des vases à reliefs (poteries sigillées), réalisé par trempage dans une argile colloïdale, a donné lieu en Italie (Arezzo), puis en Gaule romaine à une intense production, exportée jusqu’en Asie. L’emploi d’une pellicule d’émail ou d’un verre à fondant métallique devait être d’une tout autre portée : le vernis plombifère, connu de l’Antiquité, se généralise au Moyen Âge en Occident (poteries vernissées) ; l’émail stannifère opaque fournit de merveilleux produits en Orient et en Espagne (lustrés hispano-moresques) avant de devenir la majolique et la faïence occidentale.

Les pâtes dures, comme le grès mâle ou la diaphane porcelaine, pourraient se passer d’une protection ; à l’exemple des poteries tendres, elles ont reçu cependant une couverte feldspathique résistant au « grand feu », tout d’abord en Chine, où elles se perfectionnent sous la dynastie des Tang (T’ang, viie-xe s.), puis en Europe au xvie s. pour le grès (dont la production est attestée dès le xiiie s. en Beauvaisis) et au xviiie s. pour la porcelaine.


Art de la terre et art du feu

La poterie est d’abord un produit de la main, qui s’y exprime librement, sans contrainte d’outil, en des gestes stylisés par la répétition ; un vase, en effet, n’est pas le plus souvent une pièce isolée : il s’insère dans une série.

Les fins gobelets élamites, montés sans tour et au décor monochrome, étaient déjà au IVe millénaire, à Suse, de purs chefs-d’œuvre par leur forme, par l’équilibre des zones claires et sombres, par la stylisation des motifs accordés à la surface courbe. L’usage du tour donne au potier des possibilités nouvelles pour créer une forme sensible et dynamique ; dans le petit aryballe à parfums comme dans le cratère pour le mélange des vins s’affirme la maîtrise du potier ionien, al tique ou corinthien.

À des époques diverses, en pays hittite, en Chine ou aussi bien en Amérique précolombienne, des vases modelés ou moulés zoomorphes sont l’indice d’une mentalité plus concrète et statique, qui est aussi celle des Étrusques lorsque, à l’exemple des Grecs, ils veulent imiter le métal et réalisent le bucchero, étonnante poterie noire lissée, et plus tard la sigillata arétine, délicate interprétation des reliefs de l’orfèvrerie.

Succédant à des productions indigènes souvent remarquables (des « champs d’urnes » à la Tène et aux céramiques ibériques), la poterie « commune » de l’Empire romain accuse une puissance supérieure à celle de la sigillée et de ses dérivés. Celle du Moyen Âge, trop mal connue encore, reste dans la même veine, tout en s’inspirant des formes concurrentes du verre et de l’étain ; mais elle cherche déjà à rehausser des reliefs élémentaires par des vernis aux couleurs gaies.

À partir du xvie s., la poterie va s’effacer devant la faïence et ses décors d’émaux polychromes ; elle poursuivra cependant jusqu’à une date récente dans de savoureuses productions provinciales, où règne désormais ce produit de grand feu qu’est le grès. La matière y est sans mièvrerie possible ; la forme s’impose, et l’épiderme apparaît, hâlé de sel ou à peine voilé d’une parure nacrée, à l’aube du xvie s., dans les « azurés » du Beauvaisis, chaude et dorée dans les productions tardives de la Puisaye, aux reflets de cire brune... Après s’être mesuré si longtemps avec la terre, le potier doit compter avec la flamme pour parachever son œuvre ou pour la condamner ; bien loin des fantaisies formelles ou picturales, imitatives ou aberrantes, la poterie est une création totale, animée par le feu.

Les Japonais, dans leur soumission esthétique à la nature, ont fait, après les Coréens, une large place au feu ; celui-ci leur a donné les plus belles poteries et, par-dessus tout, des grès d’une puissance sans rivale. La leçon ne sera pas perdue ; elle trouvera son écho en Occident au moment de la tentative de synthèse des arts de la fin du dernier siècle ; et les chefs-d’œuvre d’un Carriès (Jean Joseph Marie Cariés, 1855-1894), d’un Auguste Delaherche (1857-1940) ouvriront à leur tour la voie à une renaissance du grès, dont notre époque commence seulement à apprécier pleinement la sereine beauté.

H. P.

➙ Argiles / Céramique / Faïence / Porcelaine.

 Essai de bibliographie des arts et industries céramiques (Institut de céramique française, 1932-1935 ; 3 vol.). / B. H. Leach, A Potter’s Book (Londres, 1945 ; trad. fr. le Livre du potier, Dessain et Tolra, 1973). / W. B. Honey, The Art of the Potter (Londres, 1946). / G. Fontaine, la Céramique française (Larousse, 1947 ; nouv. éd., P. U. F., 1965). / A. Lane, Early Islamic Pottery (Londres, 1947). / V. Bodin, Technologie des produits de terre cuite (Gauthier-Villars, 1956). / F. Villard, les Vases grecs (P. U. F., 1956). / D. Lion-Goldschmidt, les Poteries et porcelaines chinoises (P. U. F., 1957) ; Céramique ancienne de l’Asie (Office du livre, Fribourg, 1959). / H. Lehmann, les Céramiques précolombiennes (P. U. F., 1959). / G. Savage, English Pottery and Porcelain (Londres, 1961 ; trad. fr. Céramique anglaise, Office du livre, Fribourg, 1961).