Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

armée

Ensemble organisé des forces militaires terrestres d’un peuple ou d’un État.


Si le mot armée dérive du mot arme*, la réalité qu’il recouvre est bien postérieure à la naissance des armes et aux premières luttes des hommes pour la vie. On ne peut, en effet, parler d’armée qu’à partir du moment où existe une véritable organisation hiérarchisée d’hommes munis d’armes, soumis à des chefs (et finalement au pouvoir politique) pour mener une action de force.

C’est la nécessité qui, dans des circonstances diverses, a imposé son existence, soit pour protéger un groupe humain attaqué par l’adversaire extérieur, soit pour lui conquérir des moyens d’existence.

À l’origine, l’armée est donc une collectivité qui prend les armes quand elle est menacée. Cette identification aux communautés élémentaires apparaît notamment dans les tribus de la Germanie primitive, où le même terme du vieil allemand torp a engendré à la fois le mot Dorf (village) et le mot Truppe (troupe).


Des armées antiques aux armées féodales

Dans les cités antiques, l’armée se trouve constituée par plusieurs catégories de combattants, reflétant le rang social des individus, et les chefs politiques assument l’encadrement de cette milice. Cette organisation apparaît notamment dans les cités grecques : elle est frappante à Sparte, et on la retrouve même à Athènes, où les citoyens d’un certain rang sont mobilisés comme combattants proprement dits, tandis que les citoyens les plus pauvres sont employés comme rameurs sur les navires de guerre. Néanmoins, certains États qui offraient les traits d’une monarchie absolue, comme l’Assyrie, la Perse et aussi l’Égypte, ont recruté et employé d’importantes formations de mercenaires.

À Rome, l’armée de la République est à l’image de la nation. Les citoyens de la classe sénatoriale exercent les commandements, ceux de la classe équestre constituent initialement la cavalerie, arme coûteuse, tandis que les légionnaires sont recrutés dans la plèbe. Sous l’Empire apparaissent de nombreuses formations d’auxiliaires, c’est-à-dire de mercenaires, tandis que les effectifs des légions sont constitués par des hommes de toutes races, mais qui peuvent acquérir la citoyenneté romaine au terme d’un service militaire très prolongé.


Des armées féodales aux armées royales

Tandis que Byzance et les États arabes auront des armées à base de mercenaires, l’Europe féodale aura des institutions militaires qui seront l’expression de son organisation sociale.

Le métier des armes est l’apanage de la chevalerie, c’est-à-dire des hommes de la classe dirigeante et possédante. Celle-ci fournit donc des combattants à cheval, secondés par des auxiliaires montés ou à pied. Mais la nature des liens féodaux fait que les seigneurs de premier rang ont pouvoir de recourir au renfort de leurs vassaux et que ceux-ci peuvent, eux-mêmes, faire appel à leurs propres vassaux. Les moins élevés dans la hiérarchie féodale sont les chevaliers non fieffés, qui vivent au château ou dans la ville de leur suzerain et n’ont d’autre ressource que les libéralités de ce dernier. L’ost, ou armée féodale, est donc constitué par un rassemblement disparate de noyaux armés qui sont convoqués dans les circonstances graves pour une durée illimitée (service d’ost) ou pour une durée très courte (service de chevauchée).

À côté de la chevalerie, il existe cependant les milices, c’est-à-dire les formations d’autodéfense des villes, surtout de celles qui ont obtenu un statut communal. Elles sont constituées par les bourgeois et encadrées par les chefs locaux ; si elles interviennent essentiellement en cas de siège, elles peuvent être engagées dans des opérations temporaires, comme ce sera le cas à Bouvines (1214). Dès que le pouvoir royal s’affermit, le roi sent la nécessité de se doter d’une force permanente, comme les grandes compagnies en ont apporté le fâcheux exemple. Mais la constitution de cette force pose un problème budgétaire, et celui-ci n’est résolu qu’au moment où l’autorité royale est suffisamment solide pour disposer des ressources nécessaires. Les premières tentatives remontent à Charles VII (compagnies d’ordonnance, 1445), et les règnes de Louis XI et de Charles VIII en voient les réalisations effectives.

L’apparition de l’artillerie favorise cette constitution d’une armée royale, encore que beaucoup de cités aient la possibilité de s’assurer la possession d’un bon nombre de bouches à feu. Néanmoins, les effets de plus en plus destructeurs des canons offriront à la monarchie le moyen de venir à bout des châteaux et des cités rebelles.


Du xvie au xviiie siècle

Les armées permanentes deviennent ainsi royales, tandis que s’élabore l’organisation qui restera à la base des armées modernes. Ce sera le cas de l’armée espagnole, rénovée par Gonzalve de Cordoue (1453-1515), de l’armée française, organisée par Louvois sous l’autorité de Louis XIV, de l’armée anglaise, qui, permanente seulement depuis 1645, devient sous Guillaume III (1689-1702) une force constitutionnelle dont le roi ne peut disposer qu’avec l’accord du Parlement, de l’armée russe, à laquelle Pierre le Grand donne sa marque définitive, et de l’armée prussienne, qui doit son existence à la volonté obstinée des Hohenzollern, le Grand Électeur Frédéric-Guillaume au xviie s., le Roi-Sergent Frédéric-Guillaume Ier et Frédéric II au xviiie s.


À la fin du xviiie siècle

Après de nombreuses querelles d’école, les armées européennes possèdent déjà bien des caractéristiques qui demeureront au cours des siècles suivants. L’uniforme se généralise enfin, et la construction de casernes pour le logement de la troupe met un terme à la charge que représente le cantonnement chez l’habitant ; la condition des cadres, officiers* et ingénieurs, se régularise peu à peu, dans la mesure où ceux-ci dépendent tous de plus en plus étroitement d’un ministre ; l’administration, les écoles techniques, les arsenaux s’organisent un peu partout sous le signe de l’efficacité, tandis que les structures du commandement et de l’état-major se cherchent encore.